Après des mois de débats houleux, la disposition "ChatControl" avait été écartée du projet de règlement européen visant à lutter contre les abus sexuels sur les mineurs en ligne. Cependant, une nouvelle version du texte, portée par la présidence danoise du Conseil de l'UE, inquiète vivement les défenseurs des libertés numériques. Selon plusieurs experts, dont l'ancien eurodéputé allemand Patrick Breyer, une nouvelle disposition pourrait aboutir au même résultat : la fin du secret des correspondances sur les messageries chiffrées.
Comment le projet ChatControl revient-il sous une forme déguisée ?
Le texte officiel a bien supprimé l'obligation explicite de scanner les communications. Mais un nouvel article, l'article 4, introduit une notion d'"atténuation des risques". Cet article obligerait les fournisseurs de services comme WhatsApp, Signal ou Telegram à prendre « toutes les mesures appropriées » pour réduire les risques sur leurs plateformes.
Pour Patrick Breyer, cette formulation est une porte ouverte dangereuse. Elle pourrait être utilisée pour contraindre légalement ces entreprises à analyser le contenu de tous les messages privés, y compris ceux protégés par un chiffrement de bout en bout. Cette manœuvre reviendrait à réintroduire le projet ChatControl par la petite porte. C'est ce que l'opposant qualifie de « tromperie politique de premier ordre ».
Quelles seraient les conséquences concrètes pour les utilisateurs ?
Le projet ne se limiterait plus à l'analyse d'images ou de vidéos. La nouvelle mouture ouvrirait la voie au scan automatisé des textes et des métadonnées des conversations. Des algorithmes et une intelligence artificielle pourraient ainsi traquer des mots-clés jugés suspects. Patrick Breyer met en garde contre une « chasse aux sorcières numérique ».
Selon lui, aucune IA ne peut distinguer un flirt, du sarcasme ou un véritable "grooming" criminel. Cette surveillance de masse générerait un nombre colossal de faux positifs, plaçant des citoyens innocents sous suspicion et exposant leurs discussions les plus intimes. Le système volontaire actuel montre déjà ses limites, la police allemande rapportant qu'environ la moitié des cas signalés sont pénalement non pertinents.
Quelles autres menaces pèsent sur la vie privée en ligne ?
Au-delà du scan des messages, le règlement cache d'autres mesures radicales. Pour identifier les mineurs, le texte pourrait imposer une vérification d'identité systématique pour ouvrir un compte mail ou de messagerie, probablement via une pièce d'identité ou une analyse biométrique.
Cela signerait la fin de l'anonymat en ligne, un outil pourtant essentiel pour les lanceurs d'alerte, les journalistes ou les personnes en quête d'aide. De plus, une disposition prévoit d'interdire purement et simplement l'accès à de nombreuses applications de messagerie aux jeunes de moins de 16 ans. Une mesure qualifiée de « paternaliste » et « déconnectée de la réalité » par ses détracteurs, qui estiment qu'elle privilégie l'isolement numérique à l'éducation.