Pour occuper son fils de quatre ans, un père lui tend son téléphone avec ChatGPT. Deux heures et 10 000 mots plus tard, l'enfant est persuadé d'avoir trouvé le meilleur ami du monde. Cette anecdote, partagée sur Reddit et loin d'être isolée, révèle une tendance de fond : les IA génératives deviennent les nouveaux compagnons de jeu des tout-petits, soulevant de profondes questions.

Pourquoi cette fascination brouille-t-elle les pistes ?

Le principal danger réside dans la capacité de l'intelligence artificielle à estomper la frontière entre le réel et l'imaginaire. L'expérience d'un autre père, confiée au journal The Guardian, est là aussi révélatrice : il configure ChatGPT pour simuler un appel avec un astronaute de l'ISS pour son fils de quatre ans. L'IA joue le jeu à la perfection, allant jusqu'à lui annoncer l'envoi d'une friandise « depuis l'espace », que le père lui tend au même moment.

La joie intense de l'enfant, qui « croyait vraiment que c’était réel », a vite laissé place à un malaise chez le parent. Ce flou cognitif est au cœur des préoccupations. Un autre père a généré l'image photoréaliste d'un « camion de pompiers monstre », déclenchant une dispute entre son jeune fils, convaincu de son existence, et sa sœur aînée, plus lucide.

enfant avec tablette

Quel est le principal risque pour le développement de l'enfant ?

Les chercheurs s'inquiètent de l'impact de ces interactions sur le développement de l'enfant. Selon Ying Xu, professeure à Harvard, les plus jeunes situent ces technologies dans une « zone grise ontologique », ne sachant pas s'il s'agit d'un objet ou d'un être vivant. Le risque survient lorsqu'ils leur attribuent une « agentivité », c'est-à-dire la croyance que l'IA a ses propres intentions et choisit de leur parler.

« Cela crée un risque qu’ils croient réellement construire une sorte de relation authentique », prévient la chercheuse. Les enfants se confient alors à un algorithme dénué d'empathie, mais programmé pour simuler l'écoute et maximiser l'engagement. La fille de six ans de Josh, l'un des pères interrogés par The Guardian, décrit d'ailleurs ChatGPT comme « une fée qui représente l'internet ».

enfant smartphone.

Comment l'industrie technologique réagit-elle ?

Pendant que les experts s'interrogent, la Silicon Valley, elle, accélère. OpenAI, qui interdit en théorie ChatGPT aux moins de 13 ans, a déjà annoncé une collaboration avec Mattel (le fabricant de Barbie). Des startups comme Curio commercialisent même des peluches dopées à l'IA, présentées comme des compagnons de jeu idéaux pour réduire le temps d'écran, un argument marketing paradoxal.

Ce marché des jouets intelligents est en pleine expansion et devrait peser plus de 25 milliards de dollars d'ici 2030. Andrew McStay, professeur à l'université de Bangor, met en garde : « Les parents doivent être conscients que ces choses ne sont pas conçues dans le meilleur intérêt des enfants. Un modèle de langage ne peut pas avoir d’empathie, c’est un logiciel prédictif ».

Source : The Guardian