Face à la domination de SpaceX sur le marché des lancements, l'Agence spatiale européenne (ESA) initie un virage stratégique majeur. Elle s'appuie désormais sur des acteurs privés pour développer une nouvelle génération de lanceurs réutilisables, tout en assurant la transition avec le programme Ariane 6.

Regagner en compétitivité et en autonomie stratégique pour ne pas être distancée, telle est la nouvelle stratégie.

L'Europe a longtemps été un pilier du secteur spatial, notamment grâce à la fiabilité de ses lanceurs Ariane. Mais l'arrivée de nouveaux acteurs, en particulier la société d'Elon Musk, a complètement bousculé l'ordre établi.

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SpaceX a imposé un nouveau standard économique avec ses fusées partiellement réutilisables, rendant les modèles à usage unique, comme Ariane 5 et sa successeure Ariane 6, bien moins compétitifs sur le plan tarifaire. C'est dans ce contexte tendu que l'ESA a dû repenser en profondeur son approche.

Un changement de paradigme inévitable

Josef Aschbacher, le directeur général de l'ESA, ne mâche pas ses mots : l'Europe doit impérativement "rattraper une situation où nous voyons qu'il y a un acteur dominant".

Pour y parvenir, l'agence a décidé de prendre un virage stratégique. Le temps n'est plus aux évolutions prudentes, mais à une transformation profonde et rapide. L'objectif est de mettre au point une nouvelle génération de lanceurs qui intègre la réutilisabilité dès sa conception, afin de pouvoir enfin rivaliser avec la cadence infernale et les coûts agressifs de SpaceX.

L'European Launcher Challenge, le pari du privé

Pour accélérer ce virage, l'ESA a lancé l'European Launcher Challenge. Cette initiative ambitieuse vise à ouvrir le marché des lancements institutionnels, jusqu'ici chasse gardée des grands programmes comme Ariane et Vega, à des entreprises privées agiles et innovantes.

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Cinq sociétés ont ainsi été présélectionnées : les allemandes Isar Aerospace et Rocket Factory Augsburg, la française Maiaspace, la britannique Orbital Express Launch et l'espagnole PLD Space. À terme, seules une ou deux d'entre elles seront retenues pour porter les espoirs de l'Europe dans cette nouvelle course à l'espace.

Ariane 6, une transition nécessaire mais déjà critiquée

Pendant que le futur se dessine, le présent s'appuie sur Ariane 6. Conçue comme une évolution d'Ariane 5, elle a pour mission première d'assurer l'accès souverain de l'Europe à l'espace, une capacité dont le continent a été privé pendant un an.

"Ariane 6 est une excellente fusée. Elle est très précise", rappelle Josef Aschbacher. Son vol inaugural a eu lieu en juillet 2024, et deux autres lancements sont prévus avant la fin de l'année.

Cependant, son modèle non réutilisable la rend intrinsèquement plus coûteuse face au Falcon 9. C'est le prix d'un compromis jugé nécessaire pour ne pas retarder davantage sa mise en service. L'Europe doit maintenant jongler entre la gestion de son lanceur actuel et la préparation active de son successeur.

IRIS2 Europe constellation satellite

Au-delà des lanceurs, le Vieux Continent prépare aussi sa réponse à Starlink avec la future constellation Iris². Le défi est immense. L'Europe a déjà prouvé par le passé, avec des programmes comme Galileo et Copernicus, sa capacité à combler des retards technologiques importants.

La question reste de savoir si cette nouvelle stratégie, combinant acteurs institutionnels et agilité du secteur privé, lui permettra de revenir dans la course avant que l'écart ne devienne insurmontable.