Face à l'écrasante domination de la constellation américaine Starlink, l'opérateur européen Eutelsat valide une augmentation de capital de 1,5 milliard d'euros. Portée par la France et le Royaume-Uni, cette opération vise à financer la constellation OneWeb et à poser les bases d'une souveraineté numérique européenne. Un premier pas jugé crucial, mais potentiellement insuffisant par les analystes.
Le décor est planté depuis plusieurs années : sur le marché de l'internet par satellite, Starlink mène une danse quasi solitaire, laissant ses concurrents loin derrière. Cette hégémonie américaine, mise en lumière par le rôle stratégique de l'opérateur en Ukraine, a fait prendre conscience aux dirigeants européens de leur dépendance technologique.
La question, en plus d'être commerciale, est aussi un enjeu de souveraineté. C'est dans ce contexte tendu qu'Eutelsat, l'acteur historique franco-britannique, a décidé de passer à l'offensive.
Une bouffée d'oxygène pour une ambition continentale
Approuvée à plus de 99 %, l'augmentation de capital de 1,5 milliard d'euros constitue une étape décisive pour Eutelsat. Cette manne financière a un double objectif : d'une part, alléger une dette conséquente qui s'élève à 2,6 milliards d'euros, et d'autre part, financer le déploiement de 340 satellites supplémentaires pour sa constellation OneWeb en orbite basse (LEO).
Acquise en 2023, OneWeb est la pierre angulaire de la stratégie européenne, bien qu'elle reste un nain face à son rival : avec un peu plus de 650 satellites, elle est encore loin des quelque 8 000 déployés par Starlink.
L'État français est le principal artisan de ce montage, s'engageant à hauteur de 750 millions d'euros pour atteindre une participation de 29,65 %. Le Royaume-Uni suit avec 163,3 millions d'euros (10,89 %), aux côtés d'acteurs privés comme l'armateur CMA CGM et l'indien Bharti Space.
Pour le nouveau directeur général, Jean-François Fallacher, il s'agit du "premier jalon d'une stratégie plus vaste" visant à assurer la pérennité du modèle économique.
Au-delà des finances, un enjeu de souveraineté
Lors du salon du Bourget, le président Emmanuel Macron avait déjà qualifié Eutelsat d'enjeu de souveraineté pour l'Europe. Mais pour beaucoup, l'effort doit être collectif. L'eurodéputé Christophe Grudler martèle que si Eutelsat est l'une des meilleures réponses du continent à Starlink, un engagement politique plus large est indispensable. "Un pays ne peut à lui seul porter cette ambition continentale dans l'espace", a-t-il déclaré, appelant explicitement l'Allemagne et d'autres États membres à prendre le relais.
Berlin, qui finance déjà l'accès de l'Ukraine aux services d'Eutelsat, se trouve dans une position clé. Des discussions préliminaires entre la France et l'Allemagne ont eu lieu, mais pour l'heure, aucun engagement ferme n'a été annoncé. L'implication de l'Allemagne consoliderait durablement la position d'Eutelsat comme le fournisseur souverain de référence en Europe.
Un premier pas face à une concurrence féroce ?
Si le soutien franco-britannique change la donne, les analystes restent partagés sur l'avenir à long terme. Pour certains, comme Aleksander Peterc de Bernstein, cet investissement est un signal majeur.
Cependant, il souligne que la viabilité future dépendra de l'amélioration de la rentabilité et de la trésorerie du groupe. D'autres, comme Antoine Lebourgeois chez Stifel, se montrent plus prudents, qualifiant l'opération de "bouée de sauvetage à court terme" plutôt que d'un remède durable.
Selon lui, face à l'implacable réalité des économies d'échelle de Starlink, OneWeb aura besoin d'un engagement public "plus substantiel et plus soutenu" pour réellement prospérer en tant qu'alternative européenne.
L'augmentation de capital a certes rassuré les marchés, faisant bondir l'action Eutelsat, mais le chemin pour devenir un concurrent crédible reste long. L'Europe a posé une première carte sur la table ; la suite de la partie dépendra de sa capacité à transformer cet effort financier en une véritable stratégie industrielle et politique commune.