Le Pentagone a discrètement franchi une étape décisive dans son projet de bouclier antimissile spatial Golden Dome. Les premiers contrats pour la conception d'intercepteurs orbitaux viennent d'être attribués, lançant une compétition technologique et financière dont les enjeux se chiffrent en dizaines de milliards de dollars. Une course à l'armement spatial qui démarre dans le plus grand secret.

Le projet Golden Dome, reminiscence du projet Star Wars de Ronald Reagandes années 80, vise à créer un réseau multicouche capable de neutraliser les missiles balistiques et hypersoniques ennemis.

L'un de ses piliers les plus ambitieux repose sur le déploiement d'intercepteurs basés dans l'espace, capables d'abattre une menace quelques minutes seulement après son lancement.

Récemment, la Space Force a officiellement amorcé cette phase en attribuant une première série de contrats de prototypage, une information confirmée par ses porte-paroles tout en gardant l'identité des entreprises et les montants sous scellés, invoquant la sécurité opérationnelle.

Des contrats modestes pour un enjeu colossal

Le secret qui entoure ces attributions s'explique en partie par leur nature. Il s'agit d'accords spécifiques, des "Other Transaction Agreements" (OTAs), qui offrent plus de souplesse que les marchés publics traditionnels et ne requièrent pas d'annonce officielle sous le seuil de 9 millions de dollars.

Donald Trump Golden Dome bouclier anti-missile

Selon plusieurs sources, les premiers contrats attribués s'élèveraient à seulement 120 000 dollars chacun, une somme dérisoire au regard de l'objectif. Cependant, cette mise de départ symbolique ouvre la porte à des marchés de production qui pourraient atteindre des dizaines de milliards de dollars à l'horizon 2028.

Grâce à des fuites dans la presse spécialisée, la liste des premiers élus se dessine. On y retrouve sans surprise les poids lourds du secteur comme Northrop Grumman et Lockheed Martin.

Mais la Space Force a aussi misé sur des acteurs plus récents et innovants, tels que la startup Anduril et la société True Anomaly, signalant une volonté de diversifier les approches pour ce défi technologique majeur.

Une stratégie à double tranchant ?

Le modèle économique choisi par le Pentagone s'apparente à un pari audacieux. En finançant très modestement la phase initiale, il pousse les entreprises à investir massivement leurs propres fonds pour développer des prototypes fonctionnels.

Le gouvernement a structuré la compétition avec des "cagnottes" pour récompenser les entreprises qui parviendront à réaliser des démonstrations en orbite, le premier prix pouvant atteindre 125 millions de dollars.

Cette approche vise à stimuler l'innovation et à accélérer le développement en mettant les industriels en concurrence directe. Toutefois, pour que ce modèle fonctionne, les entreprises doivent avoir la certitude que l'engagement du gouvernement est solide non seulement à court terme, mais aussi sur les cinq à dix prochaines années.

Le coût réel de développement d'un seul prototype étant estimé entre 200 millions et 2 milliards de dollars, l'enjeu financier est immense pour les participants.

Entre ambition et scepticisme : le défi de la physique

Au-delà des aspects financiers, le concept même d'intercepteur orbital destiné à la phase de propulsion ("boost-phase") suscite le débat. L'idée est de frapper un missile lorsqu'il est le plus vulnérable : pendant que ses moteurs brûlent encore, le rendant lent et facile à suivre.

Apex intercepteur Golden Dome

Cependant, la fenêtre de tir est extrêmement courte, parfois moins de 30 secondes. Pour garantir une couverture permanente, il faudrait un nombre colossal de satellites en orbite basse, un phénomène que les analystes nomment le "problème de l'absentéisme", car la plupart des satellites ne sont jamais au bon endroit au bon moment.

Selon certaines estimations, intercepter un seul missile de manière fiable pourrait nécessiter une constellation de près de 950 intercepteurs. Face à une salve de dix missiles, ce chiffre grimperait à près de 9 500.

Le coût de déploiement et de maintenance d'une telle architecture pose de sérieuses questions sur sa viabilité à grande échelle. L'alternative serait de viser les missiles plus tard, en phase de "mi-course", ce qui laisserait plus de temps pour réagir mais exigerait des capteurs bien plus sophistiqués pour distinguer les vraies ogives des leurres.

La Space Force semble explorer les deux pistes en parallèle, ayant également publié un appel d'offres pour des concepts d'intercepteurs de mi-course. Les prochains mois seront donc cruciaux pour déterminer quelle architecture de défense antimissile le Pentagone choisira, engageant les États-Unis sur une voie technologique et stratégique pour les décennies à venir.