Vivre jusqu'à 117 ans est déjà un exploit. Mais atteindre cet âge en échappant aux maladies cardiovasculaires, au cancer et à la démence relève du prodige. C'est le cas de l'américano-espagnole Maria Branyas Morera, qui fut la doyenne de l'humanité jusqu'à son décès en 2024. Des scientifiques de l'Institut de recherche sur la leucémie Josep Carreras en Espagne se sont penchés sur son cas pour comprendre les mécanismes de cette longévité exceptionnelle. Leur étude, publiée dans Cell Reports Medicine, dresse un portrait biologique paradoxal, un mélange unique de vieillissement accéléré et de protection hors norme.
Quels étaient les signes de son vieillissement extrême ?
Pourtant, les analyses ont d'abord mis en lumière des signes de vieillissement extrêmes, presque attendus pour un âge si avancé. Ses chromosomes présentaient des télomères (les capuchons protecteurs à l'extrémité de l'ADN qui s'érodent avec le temps) particulièrement courts. Un phénomène normalement associé à la fin de vie cellulaire.
De plus, son système immunitaire montrait des marques d'usure, avec une proportion élevée de lymphocytes B dits "associés à l'âge", des cellules plus inflammatoires et moins efficaces pour produire des anticorps. Ces marqueurs sont généralement des précurseurs de maladies chroniques. Mais chez elle, ils semblaient dissociés de leurs conséquences habituelles.
Maria Branyas Morera / Wikipédia
Quels étaient ses atouts biologiques exceptionnels ?
C'est ici que l'histoire devient fascinante. Face à ces signes de sénescence [processus de vieillissement, généralement des cellules, des organismes ou de certains tissus, NDLR], le corps de Maria Branyas Morera opposait des mécanismes de protection remarquables. Son métabolisme des lipides était ce que les chercheurs qualifient de "rêve de cardiologue" : un taux de "bon" cholestérol (HDL) très élevé et de faibles niveaux de triglycérides, la protégeant activement contre les maladies cardiaques. De même, ses marqueurs d'inflammation chronique étaient très bas.
Son microbiome intestinal racontait une histoire similaire de jeunesse. Il était étonnamment riche et diversifié pour son âge, avec une abondance de bifidobactéries (Bifidobacterium), des bactéries bénéfiques associées à des effets anti-inflammatoires, qui tendent à disparaître avec l'âge.
Mais le détail le plus frappant réside dans son horloge biologique, ou épigénétique. En analysant les marqueurs de méthylation sur son ADN, les scientifiques ont estimé que son âge biologique était inférieur de près de 23 ans à son âge chronologique. Une décélération spectaculaire du vieillissement au niveau moléculaire.
La génétique est-elle la seule explication ?
Ces facteurs génétiques rares, bien que cruciaux, n'expliquent pas tout. Le séquençage de son génome a révélé qu'elle portait des variants génétiques rares connus pour améliorer la fonction immunitaire, la protection cardiovasculaire et la santé mitochondriale. Elle était également dépourvue de certaines mutations à risque, notamment celles liées à la maladie d'Alzheimer. Un véritable ticket gagnant à la loterie génétique.
Cependant, son mode de vie a sans doute joué un rôle clé. Maria Branyas Morera suivait un régime méditerranéen équilibré, entretenait une vie sociale active et avait de bonnes habitudes de sommeil. Surtout, elle était une grande consommatrice de yaourt, mangeant jusqu'à trois portions par jour. Cette habitude a pu nourrir activement les bonnes bactéries de son intestin, renforçant ainsi son microbiome protecteur. Son cas illustre parfaitement comment le vieillissement et la maladie peuvent être découplés, offrant des pistes précieuses pour nous aider à vivre non seulement plus longtemps, mais surtout en meilleure santé.