Après plus de quinze ans de mystère, un pied fossilisé découvert en 2009 dans la région de Woranso-Mille, en Éthiopie, a enfin trouvé son propriétaire. Il ne s'agit pas d'un Australopithecus afarensis, l'espèce de la célébrissime Lucy, mais bien d'un Australopithecus deyiremeda.
Cette confirmation met fin à des années de débat et prouve de manière tangible que deux espèces d'homininés partageaient le même territoire à la même époque, bouleversant notre vision de l'arbre généalogique humain.
Quel mystère cachait le "pied de Burtele" ?
Découvert en 2009, ce fossile partiel, baptisé le pied de Burtele, a immédiatement interpellé les scientifiques. Sa morphologie était un casse-tête. Il présentait un gros orteil opposable et courbé, semblable à celui des primates arboricoles, une caractéristique parfaite pour grimper aux arbres. Pourtant, d'autres éléments de sa structure suggéraient une aptitude à la marche bipède. Cette anatomie mixte ne correspondait pas à celle de Lucy, dont le pied était clairement adapté à une vie plus terrestre.
Pendant des années, l'identité du propriétaire de ce pied est restée une énigme. L'attribution à une nouvelle espèce, A. deyiremeda, n'a été possible qu'après la découverte de 25 autres fossiles sur le même site, notamment des fragments de mâchoires et de dents. En croisant les données anatomiques et stratigraphiques, l'équipe menée par l'anthropologue Yohannes Haile-Selassie a pu établir le lien de manière irréfutable. Le pied de Burtele appartenait bien à cette autre lignée, plus primitive et pourtant contemporaine.
Comment deux espèces ont-elles pu cohabiter sans s'éliminer ?
La coexistence de deux espèces si proches sur un même territoire pose une question fondamentale : comment ont-elles évité une compétition directe pour les ressources ? La réponse se trouve dans leurs différences de mode de vie. Le pied d'A. deyiremeda, avec ses capacités arboricoles conservées, indique une locomotion mixte. Cet homininé était à l'aise au sol mais continuait d'exploiter activement les arbres, probablement pour se nourrir ou échapper aux prédateurs. C'est une facette fascinante de cet homme préhistorique.
Cette séparation des stratégies se confirme par les analyses isotopiques de l'émail dentaire. Les résultats sont clairs : les deux espèces n'avaient pas le même menu. A. afarensis (Lucy) avait un régime varié, incluant des plantes de savane (C4). En revanche, A. deyiremeda se concentrait quasi exclusivement sur des végétaux de type C3, typiques des environnements boisés. Cette spécialisation écologique, combinant locomotion et alimentation distinctes, a créé des niches qui leur ont permis de cohabiter pacifiquement.
Quelle vision de l'évolution humaine cela impose-t-il ?
Cette découverte fracasse l'idée d'une évolution humaine linéaire, où les espèces se succèdent sagement les unes après les autres. Le tableau qui se dessine est celui d'un buisson foisonnant, une mosaïque d'hominidés explorant différentes voies évolutives en parallèle. Il y a 3,4 millions d'années, il n'y avait pas une seule façon d'être un bipède, mais une "pluralité d'expérimentations locomotrices", comme le souligne Yohannes Haile-Selassie. Chaque adaptation, comme un régime alimentaire spécifique, offrait des avantages dans un environnement donné.
Cette complexité révèle que l'Afrique préhistorique était un laboratoire d'innovations. Loin d'être une anomalie, cette diversité d'espèces était peut-être la norme de notre histoire. Comprendre comment ces différentes lignées ont interagi, partagé un territoire et se sont adaptées sans s'exterminer est crucial pour saisir les dynamiques qui ont finalement mené à l'émergence d'Homo sapiens, bien des millions d'années plus tard. Notre histoire est bien plus riche et complexe que nous ne l'imaginions.
Foire Aux Questions (FAQ)
Quelle est la principale différence entre A. deyiremeda et l'espèce de Lucy ?
La différence majeure réside dans leur mode de locomotion et leur alimentation. A. deyiremeda avait un pied adapté à la fois à la marche et à la grimpe (orteil opposable), suggérant une vie semi-arboricole, et un régime alimentaire spécialisé dans les plantes de forêt. L'espèce de Lucy, A. afarensis, avait un pied plus adapté à la marche terrestre et un régime plus varié, incluant des ressources de savane.
Pourquoi cette découverte est-elle si importante ?
Elle prouve de manière définitive que plusieurs espèces d'homininés ont coexisté en Afrique il y a plus de 3 millions d'années. Cela remet en cause le modèle simple et linéaire de l'évolution humaine pour le remplacer par un modèle beaucoup plus complexe et "buissonnant", où différentes stratégies adaptatives étaient testées simultanément.