Nvidia et AMD, deux poids lourds du secteur des puces d’intelligence artificielle, s’apprêtent à verser 15% de leurs revenus (et non plus de leurs bénéfices) réalisés sur le marché chinois directement au gouvernement américain.
Jamais un accord aussi singulier n’avait été accepté entre la Maison Blanche et des entreprises privées, bouleversant les règles de l’export technologique et amorçant une nouvelle phase dans la rivalité économique sino-américaine.
Dès l’annonce, cette mesure a suscité de vives réactions parmi les observateurs, interrogeant la logique de Washington et les perspectives à moyen terme pour les deux entreprises.
Choc réglementaire : L’origine de la taxe à 15%
L’instauration de cette contribution exceptionnelle fait suite à plusieurs années de tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine mais avec un récent dégel grâce aux négociations "puces IA contre terres rares".
Alors que les ventes de certains modèles de puces, notamment les H20 de Nvidia et les MI308 d’AMD, étaient jusqu’alors arrêtées pour risque de sécurité nationale, la récente politique américaine offre aux firmes la possibilité de reprendre ces exportations – à une condition financière ambitieuse.
Ce nouveau schéma, révélé par le Financial Times, intervient alors que le président Donald Trump multiplie les initiatives en faveur d’un contrôle plus strict sur l'exportation de technologies avancées tout en cherchant à soutenir des intérêts financiers américains.
Pour obtenir leur licence d’exportation, Nvidia et AMD doivent donc reverser une part fixe de leur chiffre d’affaires réalisé en Chine, une situation « sans précédent » pour les experts interrogés.
Conséquences directes sur le marché des semi-conducteurs
Ce choix influence directement le secteur mondial des semi-conducteurs, déjà fragilisé par les tensions persistantes des dernières années. En 2024, Nvidia comptait la Chine pour 13% de ses revenus, soit près de 17 milliards de dollars, et AMD voyait ce pays représenter 24% de son chiffre d’affaires annuel.
Une telle taxe n’est pas anodine pour le développement commercial des entreprises américaines alors que la Chine demeure la deuxième économie mondiale et un marché incontournable pour les technologies de pointe et qu'il existe un risque de voir des entreprises chinoises devenir les nouvelles références nationales d'abord et mondiales ensuite.
Le calcul du taux sur le chiffre d’affaires, et non sur les bénéfices, interroge la marge de manœuvre des entreprises . Certaines voix estiment que cette mesure pourrait inciter les sociétés à répercuter le coût sur les prix, mais le consensus selon les experts du secteur est que les consommateurs chinois absorberont la charge.
Un précédent juridique et politique aux États-Unis
Ce type d’accord pose également un problème d’ordre juridique et constitutionnel. Les spécialistes évoquent en effet une zone grise sur la légalité d’une taxe prélevée sur les ventes à l’étranger, sur décision de l’administration et en dehors du cadre traditionnel des contrôles à l’export.
Plusieurs analystes, comme Geoff Gertz, du think tank CNAS (Center for a New American Security), soulignent ce paradoxe : « Soit il y a un véritable risque de sécurité nationale, alors ces ventes ne devraient pas se faire, soit il n’y en a pas, et il faut s’interroger sur le sens d’une telle taxe. »
Les réactions au Congrès et auprès des actionnaires des deux sociétés sont surveillées de près. Certains estiment que la décision pourrait faire jurisprudence, ouvrant la voie à d'autres montages similaires lors de négociations internationales, à commencer par d’autres secteurs technologiques ou matières premières rares. Le gouvernement américain n’a d’ailleurs pas encore précisé l’usage qu’il entend faire des sommes collectées.
Stratégies des acteurs et perspectives internationales
Face à une telle mesure, Nvidia et AMD adaptent leur stratégie de commercialisation en Chine, redéfinissant leur approche pour continuer à accéder à ce marché crucial sans perdre leur leadership.
Jensen Huang, CEO de Nvidia, s’est entretenu personnellement avec Donald Trump à la Maison Blanche, plaidant pour une solution qui permette aux entreprises américaines de rester compétitives tout en respectant les nouvelles normes politiques.
Dans ce contexte, la question de l’influence américaine via le « tech stack » demeure centrale : « Il est dans notre intérêt que les entreprises chinoises utilisent toujours la technologie américaine, même si les composants les plus avancés restent interdits à l’export. » comme l’a rappelé le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick.
Les industriels américains cherchent ainsi à éviter le scénario observé sur la 5G, où la domination de la Chine sur la téléphonie mobile a durablement ébranlé l’avance technologique des États-Unis. La grande crainte reste de voir les entreprises chinoises réussir à imposer leurs propres technologies, jusqu'à écarter les sociétés américaines.
Mais il reste le problème d'une problématique de sécurité nationale à géométrie variable pouvant être affaiblie si besoin par intérêt financier, ce qui va à l'encontre de son principe même et fait peser des risques, même calculés, sur la Nation.
Cette convention coïncide avec une accalmie des tensions commerciales entre Pékin et Washington, chacun tentant d’équilibrer sécurité nationale et intérêts économiques. Mais sur le long terme, la création d’une taxe sur les entreprises américaines vis-à-vis de leurs ventes à la Chine interroge sur les limites de la mondialisation technologique et pourrait rebattre les cartes dans la course à la puce IA, l’exportation de semi-conducteurs, la gestion des exportations et la guerre des technologies.