C'est un signal silencieux, visible uniquement depuis l'espace, mais il est alarmant. La couleur de nos océans est en train de changer. Une nouvelle étude d'envergure, basée sur deux décennies d'observations satellite, confirme une tendance de fond : les eaux des régions polaires deviennent de plus en plus vertes, tandis que celles des tropiques virent à un bleu de plus en plus profond. Loin d'être un simple changement esthétique, c'est le signe d'une réorganisation massive et inquiétante de la vie sur Terre.

Que signifie ce changement de couleur des océans ?

La couleur de l'eau est un indicateur direct de la vie qu'elle contient. Le vert trahit la présence de phytoplancton, ces algues microscopiques qui, grâce à leur chlorophylle, sont à la base de toute la chaîne alimentaire marine. Une eau verte est une eau riche et vivante. Une eau bleue est un désert océanique. Ce que l'étude révèle, c'est une migration à l'échelle planétaire : la vie marine fuit les tropiques, qui deviennent de plus en plus bleus et stériles, pour se concentrer vers les pôles, qui verdissent. C'est la plus grande réorganisation du vivant jamais observée dans les océans.

Comment les scientifiques ont-ils pu mesurer un changement aussi subtil ?

Pour prouver un tel phénomène, il fallait une méthode d'analyse innovante. L'équipe de chercheurs, dirigée par Haipeng Zhao de l'Université Duke, a analysé 20 ans de données provenant du satellite MODIS-Aqua de la NASA. Pour donner un sens à cette masse de données, ils ont emprunté des outils à une discipline inattendue : l'économie. En utilisant la courbe de Lorenz et le coefficient de Gini, qui servent normalement à mesurer les inégalités de richesse, ils ont mesuré "l'inégalité de la chlorophylle". Le résultat est net : les zones "riches" en vie deviennent encore plus riches, et les zones "pauvres" s'appauvrissent.

Quelles sont les conséquences de cette migration de la vie marine ?

Les conséquences sont potentiellement dramatiques, et ce sur deux fronts majeurs. Le premier est celui du changement climatique. Le phytoplancton est un acteur clé de la "pompe à carbone" de la planète : il absorbe le CO2 et le séquestre dans les fonds marins. Le déplacer pourrait perturber ce mécanisme vital et affaiblir la capacité de l'océan à nous protéger du réchauffement. Le second front est la sécurité alimentaire. Si la base de la chaîne alimentaire se déplace, les poissons suivent. Cela pourrait entraîner une "redistribution des pêcheries" mondiales, menaçant l'économie et l'alimentation de nombreuses nations tropicales.

Les réponses à vos questions

Est-ce que le changement climatique est le seul coupable ?

C'est le principal suspect. La hausse des températures de l'eau est la seule variable qui correspond parfaitement au changement de couleur observé. Cependant, les scientifiques restent prudents. Ils précisent que 20 ans d'observation, c'est trop court pour exclure totalement l'influence de cycles climatiques naturels comme El Niño.

Qu'est-ce que le phytoplancton ?

Ce sont des organismes marins microscopiques, des algues végétales, qui vivent en suspension à la surface de l'eau. Comme les plantes sur terre, ils réalisent la photosynthèse. Ils produisent une grande partie de l'oxygène que nous respirons et sont le tout premier maillon de la chaîne alimentaire de l'océan. Sans eux, pas de poissons.

Qui a mené cette étude ?

C'est une équipe de chercheurs internationaux dirigée par Haipeng Zhao et Nicolas Cassar de la prestigieuse Université Duke aux États-Unis, en collaboration avec d'autres institutions comme Georgia Tech. L'étude, jugée très importante, a été publiée dans la revue de référence *Science*.