Un véritable bras de fer se joue en coulisses à Bruxelles. D'un côté, les ayants droit qui poussent pour des mesures toujours plus fortes contre le piratage. De l'autre, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) qui se retrouvent en première ligne pour appliquer des décisions qu'ils jugent dangereuses. L'association qui les représente, l'EuroISPA, vient de frapper un grand coup en dénonçant publiquement une escalade qui menace la stabilité et la neutralité d'Internet.

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Quel est le cœur du problème ?

Le problème central, selon l'EuroISPA, est le caractère "disproportionné" des mesures de blocage exigées. Les FAI rappellent qu'ils ne sont que des intermédiaires techniques. Ils ne peuvent pas supprimer un contenu illégal à la source ; leur seule capacité d'action est de bloquer l'accès à un nom de domaine ou une adresse IP. Or, cette méthode est de plus en plus critiquée car elle manque de précision. La situation est aggravée par des demandes jugées irréalistes, comme celle de bloquer un site en moins de 30 minutes lors d'un événement sportif, ce qui pousserait à des blocages préventifs et abusifs.

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Quand la lutte anti-piratage dérape : les exemples qui inquiètent

Les "dommages collatéraux" ne sont plus une simple théorie, mais une réalité documentée dans plusieurs pays européens. Quand un blocage est mal ciblé, il peut mettre hors ligne des services qui n'ont rien à voir avec le piratage. Les exemples cités par l'association des FAI sont frappants :

  • En Italie, le bouclier anti-piratage "Piracy Shield" a rendu Google Drive inaccessible à tout le pays pendant une douzaine d'heures.
  • En Espagne, une ordonnance de justice obtenue par la ligue de football LaLiga a entraîné le blocage de milliers de sites légitimes qui partageaient les mêmes adresses IP que des sites pirates.
  • En Autriche, des ONG, des médias et des sites de e-commerce ont été les victimes d'un blocage trop large.

Même en France, l'intensification des blocages par l'ARCOM augmente le risque de ce type d'erreurs.

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Quelle alternative ? Les FAI plaident pour la collaboration

Face à cette situation, les fournisseurs d'accès ne demandent pas l'arrêt de la lutte contre le piratage, mais un changement de méthode. Ils appellent à remplacer la logique de confrontation judiciaire par une approche plus collaborative entre eux et les ayants droit. Le but est de trouver des solutions techniques plus fines et plus justes. L'association met en avant le modèle belge, où la gestion des sites miroirs par les autorités offre une meilleure sécurité juridique. Elle insiste aussi sur le fait que ces mesures ont un coût, et que les FAI devraient être dédommagés. Le tout, en attendant que la Commission européenne, qui doit rendre son évaluation finale d'ici novembre 2025, impose un cadre respectueux des grands principes de l'Internet ouvert, comme le prévoit le Digital Services Act (DSA).

Les réponses à vos questions

C'est quoi, l'EuroISPA ?

C'est une association européenne qui représente les intérêts de plus de 3 300 fournisseurs d'accès à Internet (FAI) de toute l'Europe. C'est leur principal lobby auprès des institutions comme la Commission européenne.

La position de la France est-elle différente ?

Oui et non. La Fédération Française des Télécoms (FFTélécoms) défend le modèle français, encadré par l'ARCOM, qu'elle juge efficace. Cependant, elle rejoint l'EuroISPA sur trois points essentiels : les FAI ne doivent agir que sur ordre d'une autorité, ils doivent rester maîtres de leurs moyens techniques, et les coûts doivent être compensés.

Les FAI sont-ils contre la lutte anti-piratage ?

Non, ils assurent soutenir la lutte. Ce qu'ils contestent, ce sont les méthodes actuelles qu'ils jugent "disproportionnées". Ils estiment que la pression exercée sur eux est trop forte et que les solutions doivent être plus ciblées pour ne pas nuire à l'ensemble des internautes et à la stabilité du réseau.