Lanh, 64 ans, en est le visage tragique. Accroupie au milieu de montagnes de bouteilles usagées, elle passe ses journées à trier des déchets pour payer les frais médicaux de son mari, atteint d’un cancer du sang qu’elle est convaincue d’être lié à son environnement.
Comme elle, des centaines d'habitants de Xa Cau, l'un des "villages artisanaux" du pays, sont pris au piège. Ce travail est une source de revenus indispensable, mais il est aussi "extrêmement sale", comme elle le confie, dans un décor où les déchets s'amoncellent comme des congères multicolores.
Comment une activité vitale devient-elle un piège mortel ?
Le paradoxe de ces villages est brutal. D'un côté, ils permettent de réutiliser une partie des 1,8 million de tonnes de déchets plastiques produits chaque année par le Vietnam et d'offrir un travail à des communautés rurales. Le recyclage est une bouée de sauvetage économique qui a transformé des villages d'agriculteurs en zones où les maisons en dur remplacent les anciennes bicoques, comme en témoigne Nguyen Thi Tuyen, 58 ans. "Cette activité nous permet de nous enrichir", affirme-t-elle.
De l'autre, ce système D fonctionne sans aucune régulation efficace. Les méthodes sont rudimentaires : le tri, le broyage et la fonte du plastique se font à ciel ouvert, libérant des fumées toxiques et des produits chimiques dangereux dans l'air, l'eau et les sols. C'est un cercle vicieux où l'outil de survie devient lentement une arme qui tue, créant des "villages de cancers" où, selon Lanh, "les gens n'attendent plus que de mourir".
D'où vient cette marée de déchets plastiques ?
La source de ce problème est double. La majorité du plastique traité provient du Vietnam lui-même, un pays de 100 millions d'habitants dont la croissance économique fulgurante a fait exploser la consommation. Le système de collecte et de tri national est largement dépassé, laissant le champ libre à ces filières informelles.
Mais une partie non négligeable des déchets arrive aussi de l'étranger. Depuis que la Chine a fermé ses portes aux déchets plastiques en 2018, le Vietnam est devenu l'une des destinations de repli pour des centaines de milliers de tonnes de déchets exportés par l'Europe et les États-Unis. Dinh, propriétaire d'une usine de granulés, le confirme : "Les déchets nationaux ne suffisent pas. Je dois importer de l'étranger" pour faire tourner ses machines.
Quelles sont les conséquences sanitaires et écologiques concrètes ?
Les conséquences sont désastreuses et documentées. Hoang Thanh Vinh, expert pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), est formel : "Le contrôle de la pollution de l'air est nul dans ce type d'installations". Une analyse des sédiments dans le village de Minh Khai a révélé une contamination très élevée au plomb, ainsi que la présence de dioxines et de furane, des substances hautement cancérigènes. Les eaux usées, non traitées, sont directement rejetées dans les cours d'eau.
Le bilan humain est alarmant. Dès 2008, le ministère de l'Environnement constatait que l'espérance de vie dans ces villages était inférieure de dix ans à la moyenne nationale. Bien qu'il n'existe pas de statistiques officielles sur les taux de cancer, les témoignages des ouvriers sont unanimes : tous connaissent des proches ou des collègues malades. L'exposition prolongée à cet "environnement toxique" fait peser des risques immenses sur la santé des habitants, un fait que résume Dat, 60 ans : "Dans ce village, les cas de cancer ne manquent pas."
Foire Aux Questions (FAQ)
Pourquoi le recyclage est-il si dangereux dans ces villages vietnamiens ?
Le danger provient des méthodes artisanales et du manque total de régulation. La fonte du plastique sans filtration adéquate libère des fumées chargées de substances toxiques comme les dioxines et les furanes. De plus, les eaux usées contaminées par des métaux lourds comme le plomb sont rejetées dans la nature sans traitement, polluant l'eau et les sols.
Le gouvernement vietnamien prend-il des mesures ?
Des mesures ont été annoncées, comme l'interdiction de brûler les déchets non recyclables et des projets pour construire des usines plus modernes. Le Vietnam a également durci sa réglementation sur les importations de déchets plastiques. Cependant, sur le terrain, ces règles sont peu appliquées, et les pratiques dangereuses comme le brûlage ou le déversement sauvage persistent.