La technologie de l’intelligence artificielle évolue à une telle rapidité que ses dirigeants et experts commencent à remettre en cause des termes fondateurs comme AGI (Intelligence Artificielle générale).
OpenAI, qui s’était pourtant fixé l’AGI comme objectif majeur, amorce un virage conceptuel sous la houlette de Sam Altman : pour le CEO, le terme AGI serait devenu inutile, et le futur de l’IA se dessine déjà au-delà des frontières habituelles.
Aveu d'échec par rapport à une promesse surestimée ou le patron d'OpenAI a-t-il une autre idée en tête concernant le futur de l'intelligence artificielle ?
AGI : une définition en éclats, un concept remis en cause
Selon Sam Altman, la notion d’artificial general intelligence (« AGI ») ne désigne plus rien d’opérationnel : « Je pense que ce n’est pas un terme très utile » explique-t-il dans plusieurs interviews récentes.
Les frontières floues du concept deviennent de plus en plus gênantes pour les chercheurs : certains le définissent comme une IA capable de tout accomplir mieux qu'un humain, d’autres comme un système réalisant une quantité significative de tâches professionnelles. Mais, comme le souligne Altman, « la nature même du travail ne cesse d’évoluer ».
La multiplication des modèles, la spécialisation croissante des agents et la transformation du marché rendent ce seuil difficile à situer. Nick Patience, de The Futurum Group, ajoute d’ailleurs qu’« AGI n’est qu’un symbole ambigu, une référence plus fédératrice pour lever des fonds qu’un objectif pragmatique ». Les experts recommandent alors un glissement vers des repères plus fins, comme le niveau d’autonomie ou la performance dans des tâches économiques précises.
Le concept d'AGI lui-même a différentes définitions selon les acteurs (OpenAI, Microsoft, Google...) et le concept évolue en fonction des avancées ou des points de blocage de chacun. Difficile dans ces conditions de trouver un consensus.
Ce flou entretient de nombreuses tensions, notamment entre OpenAI et son investisseur Microsoft, qui lie la notion d’AGI à des critères stricts de profit ou d’impact économique.
Une course mondiale à l’AGI… et ses limites structurelles
L’ambition d’atteindre l’AGI a longtemps rythmé la compétition entre acteurs majeurs : OpenAI, Google, Microsoft, Meta ou Amazon investissent des fonds colossaux, des modèles de plus en plus avancés voient le jour, mais la véritable autonomie reste hors de portée.
Altman lui-même l’admet : « Nos systèmes ne savent pas apprendre en continu de manière autonome », ce qui limite la capacité d’une IA à accomplir, sur le long terme, un travail humain authentique.
Certains analystes appellent à une définition plus concrète : Aaron Rosenberg, de Radical Ventures, propose que l’AGI correspondrait à « au moins 80% de performances humaines sur 80% des tâches numériques significatives », un horizon qu’il estime atteignable d’ici cinq ans.
Mais il faudrait déjà en savoir plus sur la "boîte noire" au coeur des IA qui leur permet de produire leurs réponses et établir des des critères de performance acceptés par l'industrie (performance humaine, apprentissage autonome, gains économiques).
La recherche progresse, mais le seuil de l’AGI demeure incertain, changeant au gré des avancées techniques et des intérêts de chaque acteur et la notion d’autonomie totale reste la grande faiblesse des modèles actuels.
Le nouveau cap : vers la superintelligence et une gouvernance adaptée
Face à l’imprécision du concept d’AGI, Sam Altman redéfinit la hiérarchie des objectifs : OpenAI vise désormais la superintelligence, c’est-à-dire des systèmes surpassant largement les capacités humaines dans des domaines clés. « Nous sommes maintenant confiants sur la façon de construire l’AGI », avance-t-il, mais la vraie révolution serait l’apparition de machines capables de résoudre de manière autonome des problèmes scientifiques, voire de découvrir de nouveaux savoirs.
Ce changement de cap s’accompagne de dilemmes importants pour la gouvernance de l’IA : Altman lui-même a traversé une crise majeure en 2023, limogé puis réintégré à la tête d’OpenAI, signe de la difficulté à réguler la montée en puissance des équipes, de la technologie, et des enjeux économiques et sociétaux.
Avant d'arriver à l'AGI, sa firme prévoit de déployer progressivement ses avancées pour favoriser l’adaptation sociale en mettant l'accent sur la sécurité, l’alignement et des outils conçus pour le bénéfice général. Voilà pour le discours officiel, sachant que la concurrence acharnée entre les grands acteurs peut bousculer ces principes pour être le premier à sortir une nouveauté ou imposer ses produits sur le marché.
La transition vers la superintelligence appelle une réflexion profonde sur la régulation, l’éthique et la distribution des bénéfices — un chantier ouvert et évolutif.
Un terme controversé au centre de tensions entre OpenAI et Microsoft
L’abandon du terme AGI n’est pas neutre : il marque un tournant stratégique dans la relation entre OpenAI et Microsoft. En effet, les clauses contractuelles les plus sensibles visent la capacité d’OpenAI à limiter l’accès de Microsoft à ses futures innovations si l’AGI est proclamée atteinte.
Satya Nadella, le CEO de Microsoft, se montre sceptique : il défend l’idée que « l’AGI doit apporter une croissance économique mondiale significative, pas seulement répondre à une définition arbitraire ».
Ces débats soulignent l’enjeu de gouvernance et la nécessité de réinventer les modèles de collaboration et de partage dans un secteur où la définition même des objectifs évolue en permanence. L’AGI, jadis étendard de la recherche en IA, devient alors un point de friction et de remise en question structurelle du partenariat entre géants.
De l’AGI à l’utilité concrète : quelles perspectives pour le futur ?
Pour Sam Altman, la question de l’AGI a surtout servi de moteur symbolique : « On observe une croissance exponentielle des capacités des modèles et leur adaptation à des usages de plus en plus variés ».
Le véritable enjeu aujourd’hui serait l’efficacité et la pertinence des agents dans la résolution de problèmes concrets, tant sur le plan scientifique que sociétal. Plutôt que d’attendre une définition universelle de l’AGI, les équipes d’OpenAI préfèrent itérer rapidement et imposer dans le quotidien des outils puissants, tout en essayant de garder la sécurité et l’alignement au cœur des priorités.
Cette approche a déjà permis des avancées notables, et préfigure une ère où la segmentation des tâches, l’automatisation croissante et la spécialisation des modèles ouvriront de nouvelles opportunités pour l’IA : le passage vers l'intelligence artificielle spécialisée et la superintelligence pourrait ainsi façonner l’économie, la recherche, et le quotidien des utilisateurs du monde entier.