Face aux sanctions américaines, Pékin accélère son passage à une autosuffisance technologique. Officiellement, tous les centres de données publics chinois doivent désormais utiliser plus de 50% de puces conçues localement.

Un signal fort, porteur d’enjeux industriels, économiques et stratégiques. Ce virage est dicté par la volonté de réduire la dépendance aux géants étrangers, notamment américains, qui dominaient jusque-là la fourniture de processeurs et GPU pour les infrastructures critiques, notamment pour le cloud et l’intelligence artificielle.

L'origine de la nouvelle politique et ses objectifs

En mars 2024, un décret émanant de la municipalité de Shanghai a posé les premières pierres du changement. « L’adoption de puces de calcul et stockage locales dans les centres informatiques de la ville doit dépasser 50% d’ici 2025 », stipulait ce texte validé par les agences gouvernementales et des branches de la National Development and Reform Commission (NDRC).

Rapidement, cette Directive a été étendue à l’ensemble du pays. À travers cette démarche, la Chine entend assurer une demande garantie à ses producteurs nationaux et répondre aux restrictions américaines sur l’export des technologies avancées.

Le programme "Made in China 2025" vise à générer 305 milliards de dollars de production de semi-conducteurs en 2030, contre 65 milliards en 2016 et Pékin a déjà mobilisé plus de 40 milliards de dollars depuis 2014 pour s’imposer dans la filière, avec un objectif de 70% d’autosuffisance d’ici à 2030.

Le chantier est colossal : plus de 500 nouveaux projets de data centers ont été lancés en 2023 et 2024. Parmi les régions phares, l’Intelligence Artificielle en Mongolie Intérieure et à Guangdong s'impose comme secteur clé de la stratégie nationale.

Des défis techniques majeurs à relever

La transition pose des défis considérables. Les puces fabriquées en Chine sont utilisent des procédés de gravure mature en 22 / 28 nm mais restent en retrait par rapport aux leaders mondiaux pour les calculs complexes de GPU dédiés à l’apprentissage profond (training). Les dernières puces américaines, dont les Nvidia H100 ou H800, conservent la suprématie pour l’entraînement des modèles avancés, tandis que les semi-conducteurs chinois sont surtout efficaces sur les tâches d’inférence.

Huawei Ascend, l'alternative chinoise aux puces IA de Nvidia

La migration des modèles entre écosystèmes vient s’ajouter aux obstacles. « Les puces domestiques utilisent des environnements différents et incompatibles, comme Huawei CANN ou Baidu PaddlePaddle, alors que les solutions américaines s’appuient sur CUDA de Nvidia », souligne un conseiller du secteur. Ce fossé technologique impose aux entreprises locales un effort de développement supplémentaire pour assurer la compatibilité et optimiser les performances.

Des avancées et partenariats stratégiques

Malgré les difficultés, plusieurs groupes chinois progressent rapidement. La société iFlytek s'est par exemple engagée à utiliser les puces Huawei pour l’entraînement de ses IA.

SiliconFlow, basé à Pékin, collabore également étroitement avec Huawei pour développer des modèles optimisés capables de rivaliser, voire dépasser, les performances des produits américains sur des usages spécifiques. Selon les experts, « ces évolutions montrent l’émergence d’un nouvel écosystème de puces national, plus résilient ».

La multiplication des partenariats doit permettre d'accélérer l’amélioration des technologies locales et des investissements ciblés vers le logiciel accompagnent ceux des semi-conducteurs afin de contourner la dépendance aux outils américains.

Ce bouleversement n’est pas sans conséquences pour la filière mondiale, qui doit composer avec la montée en puissance du secteur chinois et la complexification des chaînes d’approvisionnement.

Quels impacts pour les entreprises et l’innovation ?

La nouvelle politique chinoise pourrait freiner temporairement l’innovation nationale en intelligence artificielle en limitant l’accès aux meilleures puces mondiales pour l’entraînement des modèles.

L’exemple de DeepSeek R2, qui a connu des retards après avoir dû travailler sur du matériel Huawei au lieu des GPU Nvidia, illustre cette nouvelle réalité. Néanmoins, la Chine mise sur la sécurisation – technologique et stratégique – de ses infrastructures, privilégiant la souveraineté au détriment d’une course effrénée à la performance.

Dans ce contexte, plusieurs entreprises locales pourraient acquérir une place centrale dans le développement de solutions innovantes adaptées au marché chinois et à ses spécificités réglementaires.

Réduire la dépendance à l’étranger devient un argument clé pour les investisseurs et les décideurs politiques. L’avenir proche révélera si cette transformation accélérée permettra à la Chine de véritablement s’imposer comme un nouvel acteur mondial des semi-conducteurs.

La Chine en route vers l'indépendance technologique

L’instauration du quota de 50% de puces locales dans les data centers marque un tournant dans la stratégie industrielle chinoise, portée par la volonté d’autonomie et soutenue par des investissements massifs.

Si la performance des semi-conducteurs made in China doit encore progresser, le pari sur la résilience nationale, le développement d'un écosystème dédié et la sécurisation des données pourraient bouleverser durablement le secteur...et c'est d'ailleurs ce que craint Nvidia pour son activité.

C'est peut-être aussi l'un des raisons qui poussent l'administration Trump à autoriser de nouveau l'exportation de composants Nvidia H20 vers la Chine malgré les risques pour la sécurité nationale et la capacité de la Chine à réduire son retard technologique.

Mais les autorités chinoises, conscientes de leur pouvoir grâce aux approvisionnements de terres rares, pourraient ne pas se contenter de ce composant aux performances limitées et pourraient exiger d'accéder aux puces de dernière génération avec la récente architecture Blackwell. Donald Trump, subjugué par les opportunités commerciales, cédera-t-il aussi sur ce point ?