Rapidus, l'entité rassemblant les forces nippones en matière de semi-conducteurs, défraye la chronique après avoir lancé la production test de puces gravées en 2 nm, une avancée stratégique qui intervient à un tournant décisif pour le marché mondial.

Cette annonce met la lumière sur une industrie en pleine renaissance dans l’archipel, longtemps dominée par ses concurrents asiatiques et américains. En à peine trois mois après la livraison de ses équipements, le groupe nippon parvient à graver ses premières tranches de silicium.

Grâce à l’appui massif des pouvoirs publics, qui y voient un projet stratégique national, son objectif ne fait pas mystère : lancer la fabrication en masse dès 2027.

Rapidus : un pari industriel à la hauteur des géants

Lancé en 2022, Rapidus s’appuie sur la technologie de gravure EUV (Extreme Ultraviolet Lithography) pour atteindre la finesse de gravure de 2 nanomètres, promettant des transistors plus rapides et économes en énergie.

Elle sera en léger décalage par rapport aux acteurs du secteur tels que TMSC, Samsung et Intel qui se lanceront en 2026 mais elle réalisera le tour de force de démarrer son activité par de la gravure ultrafine.

L’entreprise bénéficie d’un large soutien financier de l’État japonais, motivé par la volonté de sécuriser la souveraineté en électronique et d'assurer son indépendance face aux aléas géopolitiques.

Dès ses premiers prototypes, Rapidus cible une production à la pointe de la technologie qui concurrencera les géants du secteur, même s'il faudra valider la qualité et engranger des clients capables de générer de gros volumes. 

Comme souvent au Japon, le soutien pourrait venir de l'intérieur et il y a fort à parier que les acteurs japonais de l'industrie électronique seront les premiers à s'y intéresser.

Un PDK (Process Development Kit), c'est à dire un environnement pour la conception de puces avec le procédé en 2 nm de Rapidus, sera proposé à partir du premier semestre 2026.

Des protoypes 2 nm : prouesse technologique et délais records

Le défi était osé : transformer en moins de cent jours une livraison de machines EUV, venues principalement d’Europe, en circuits 2 nm fonctionnels. Selon le communiqué, l’équipe Rapidus a « rapidement finalisé le traitement sur une tranche entière », s’appuyant sur un process ambitieux qualifié de « single-wafer processing ».

Il permet de vérifier la qualité de production sur un seul wafer, c'est à dire la galette de silicium initiale, de réaliser des corrections et des vérifications par IA avant de les appliquer aux autres wafers. Cela permet d'améliorer les rendements plus rapidement et d'augmenter la production.

Le site IIM-1 de production de puces en 2 nm de Rapidus

Les erreurs ont été contenues avec des ajustements continus, permettant l’exposition EUV sur wafer trois mois à peine après la réception des plateformes de production.

Cette rapidité salue un savoir-faire existant, couplé à des transferts technologiques efficaces, notamment via des coopérations internationales stratégiques. Le procédé sera proposé par Rapidus à ses clients dans le cadre du programme RUMs (Rapid and Unified Manufacturing Service), constituant un argument commercial important.

Un engagement public colossal et une vision à long terme

L’aventure Rapidus ne serait rien sans l’interventionnisme affiché du gouvernement japonais, déterminé à rattraper le retard en semi-conducteurs. Près de 3 milliards d’euros de financements publics ont permis de mettre sur pied la première ligne pilote à Chitose, au nord du pays.

Tokyo espère ainsi s'imposer comme une alternative crédible à la domination asiatique et américaine. La cible : fournir dès 2027 des puces hautes performances destinées à l’intelligence artificielle, au cloud et aux logiciels embarqués, marché en pleine explosion depuis la digitalisation massive post-pandémie.

Un porte-parole de Rapidus l'affirme : « Cette étape inaugure une nouvelle ère industrielle pour le Japon et renforce notre ambition de produire localement la technologie la plus avancée au monde ».

Un défi mondial : la chaîne d’approvisionnement et la guerre des talents

Pour autant, Rapidus doit encore composer avec des enjeux majeurs : attirer des ingénieurs et experts de haut vol dans une industrie en tension partout sur la planète, garantir la fiabilité de la chaîne logistique face aux incertitudes mondiales, et convaincre des clients exigeants sur la qualité et le volume de production.

L’ambition japonaise s’appuie aussi sur un modèle économique hybride : consortium industriel, alliances internationales, et développement actif de l’autonomie nationale. Cette stratégie vise à sécuriser toute la chaîne de la microélectronique, du développement matériel à l’intégration logicielle.

À ce stade, Rapidus se donne les moyens de ses ambitions avec un plan d’investissement continu jusqu’en 2030 et une volonté d’ajuster en temps réel ses lignes de production pour répondre aux aléas du marché.

L’entrée de Rapidus dans l’arène mondiale des semi-conducteurs d’avant-garde questionne déjà la hiérarchie technologique établie. La bataille des nœuds s’intensifie, offrant au Japon une occasion unique d’inscrire durablement son nom dans le futur du numérique global et des infrastructures connectées.

Mais attention, TSMC ne lâchera pas si facilement ses parts de marché. Son concurrent malheureux Samsung peut en témoigner tandis qu'Intel prépare son entrée sur le marché avec le procédé Intel 14A (équivalent 1,4 nm) dont la firme espère que l'excellence technique parviendra à capter l'attention des (gros) clients.