Le paysage des télécoms français est peut-être à l'aube d'une consolidation majeure. Depuis des mois, les dirigeants des trois principaux opérateurs du pays, Orange, Bouygues Telecom et Iliad (Free), travaillent de concert.
Leur objectif : une acquisition conjointe de leur rival commun, SFR, propriété du groupe Altice. Une opération qui redessinerait la carte du secteur, en faisant potentiellement passer le marché de quatre à trois acteurs.
La première offre, un simple tour de chauffe ?
Le 14 octobre dernier, le trio a formalisé une première proposition non engageante. L'offre valorisait la plupart des actifs de SFR à 17 milliards d'euros, pour une valeur totale d'Altice France estimée à 21 milliards. Le plan de partage envisagé prévoyait 43 % des actifs pour Bouygues, 30 % pour Free et 27 % pour Orange.
La réponse de Patrick Drahi, propriétaire d'Altice, a été immédiate et sans appel : un rejet pur et simple.
Du côté d'Orange, on ne se montre guère surpris. Laurent Martinez, directeur financier du groupe, a qualifié ce refus de "pratique normale de négociation". Pour le consortium, cette offre reste "attrayante" et constitue "une solution française sur un sujet stratégique".
Les trois opérateurs ont donc maintenu leur proposition, tout en affichant leur volonté de poursuivre le dialogue.
Drahi impose son tempo et ses conditions
Mais le "non" d'Altice n'était pas qu'une simple posture de négociation. Patrick Drahi est rapidement revenu à la charge avec ses propres exigences, bien plus strictes. Selon des informations de BFM TV, le propriétaire d'Altice réclamerait désormais 21 milliards d'euros pour les actifs convoités.
Plus encore que le montant, c'est le calendrier qui crispe les discussions. Drahi exigerait une opération bouclée au plus tard début 2027, avant les élections présidentielles françaises. Ce tempo semble très ambitieux. En effet, l'examen du dossier par l'Autorité de la concurrence pourrait à lui seul durer environ 18 mois.
Cela ne laisserait que trois mois à peine au consortium pour revoir son offre et la finaliser. C'est un point de friction majeur, car les candidats, Bouygues en tête, réclamaient justement du temps pour analyser en détail les comptes de SFR, craignant une possible dégradation.
Des négociations sous haute tension historique
Les véritables négociations ne font donc que commencer. Selon le magazine Challenges, les dirigeants des trois groupes, Christel Heydemann pour Orange, Olivier Roussat pour Bouygues et Thomas Reynaud pour Iliad, se réunissent chaque semaine depuis cinq mois. L'ambiance serait, sans surprise, complexe.
Si certains affirment que la connaissance mutuelle des protagonistes facilite les échanges, d'autres rappellent les échecs cuisants du passé. La tentative avortée de rachat de Bouygues par Orange il y a dix ans, sabordée par une guerre d'ego entre Martin Bouygues et Xavier Niel, reste dans toutes les mémoires.
Un "niveau de défiance" serait toujours présent. C'est Christel Heydemann, la directrice générale d'Orange, qui serait désormais à la manœuvre pour tenter d'apaiser les tensions, notamment entre Free et Bouygues, et trouver un terrain d'entente.
Dans le même temps, Orange a profité de la présentation de ses résultats trimestriels pour relever ses objectifs annuels, fort d'un Ebitdaal en hausse de 3,7%. Le géant des télécoms a confirmé son intérêt pour un "dialogue constructif" sur SFR, tout en préparant l'avenir. Le groupe s'attend notamment à un impact positif de 300 millions d'euros de l'intelligence artificielle en 2025.
La partie est loin d'être gagnée. Patrick Drahi est en position de force, soutenu par les créanciers d'Altice France qui détiennent 45% du capital et poussent pour une meilleure valorisation. Le dénouement de ce feuilleton stratégique dépendra de la capacité des trois rivaux historiques à surmonter leurs différends pour présenter une offre que Drahi ne pourra, cette fois, pas refuser.