Un porte-avions qui ne sillonne pas les mers, mais qui flotte dans le vide de l'espace ? On se croirait dans un film de science-fiction. Pourtant, ce concept est en train de devenir un projet bien réel pour l'US Space Force. La plus jeune branche de l'armée américaine, née en 2019 pour veiller sur les intérêts des États-Unis là-haut, veut son "Porte-avions Orbital". L'idée est simple : une plateforme en orbite autour de la Terre, capable de stocker et de lancer à la demande différents types d'engins spatiaux, des satellites dans un premier temps, mais pourquoi pas d'autres vaisseaux par la suite. C'est un projet pour le moins ambitieux, confié à la société privée Gravitics. Et il pourrait bien changer la façon dont on mène les opérations dans l'espace, tout en affirmant la position de défense américaine sur ce nouveau terrain de jeu (et de confrontation).
Gravitics prend les commandes du futur "hub" spatial militaire américain
C'est donc la firme Gravitics, Inc., une entreprise de Seattle spécialisée dans les infrastructures spatiales, qui a été choisie pour ce défi. SpaceWERX, le département chargé de l'innovation au sein de l'US Space Force, a mis sur la table un financement stratégique pouvant grimper jusqu'à 60 millions de dollars pour donner corps à ce "Porte-avions Orbital". L'entreprise le dit elle-même : “Le Porte-avions Orbital est conçu pour pré-positionner plusieurs véhicules spatiaux manœuvrables qui peuvent délivrer une réponse rapide pour adresser les menaces en orbite.” En clair, il s'agit d'avoir une capacité de réaction quasi instantanée si les choses tournent mal là-haut. Selon Gravitics, cette plateforme offrira à l'US Space Force “une flexibilité et une vitesse sans précédent pour les opérations dans l'espace, améliorant significativement la posture de défense spatiale de la nation.” Colin Doughan, le patron de Gravitics, ne cache pas son enthousiasme : “Nous sommes honorés de nous associer à l'US Space Force sur cette initiative critique.” Pour lui, ce porte-avions spatial “change la donne, agissant comme une rampe de lancement pré-positionnée dans l'espace.”
Mais pourquoi un porte-avions en orbite ? Agilité et réponse aux menaces, voilà les clés
L'idée d'installer un "porte-avions" là-haut n'est pas juste pour faire joli. Actuellement, pour envoyer des satellites ou d'autres engins dans l'espace, il faut décoller depuis la Terre. C'est un processus qui prend du temps, coûte cher, et n'est pas toujours très flexible. Un Porte-avions ou transporteur Orbital permettrait aux États-Unis de devenir bien plus agiles. Avec une base de lancement déjà en orbite, mettre en place de nouveaux satellites ou des engins pour répondre à une urgence pourrait se faire beaucoup plus vite et plus facilement. Comme l'explique Colin Doughan, cela “contourne les contraintes de lancement traditionnelles, permettant aux opérateurs de véhicules spatiaux de sélectionner rapidement une orbite de déploiement à la demande.” Cette capacité à réagir vite est devenue une priorité pour l'US Space Force. Il faut dire que la menace est prise au sérieux, face aux avancées et aux tests de nouvelles armes antisatellites par des puissances comme la Chine et la Russie. On parle de brouillage des communications, de cyberattaques, de lasers capables d'aveugler des capteurs, et même de "combats spatiaux simulés". Dans ce contexte tendu, le Porte-avions Orbital pourrait, par exemple, déployer en un éclair un petit satellite pour protéger un satellite espion américain visé par un laser, ou pour remplacer rapidement un élément clé d'une constellation de communication ou de navigation qui aurait été endommagé.
Des défis logistiques énormes et des implications géopolitiques qui ne le sont pas moins
Si le concept fait rêver les stratèges et les passionnés d'espace, sa réalisation pratique ne sera pas une mince affaire. Le coût réel d'un tel engin et toute la logistique nécessaire pour l'assembler et le ravitailler en orbite restent de grosses inconnues. Faudra-t-il l'envoyer en kit et le monter là-haut, comme pour la Station Spatiale Internationale ? Cela voudrait dire de multiples lancements, tous aussi chers les uns que les autres. Et les engins qu'il transportera devront eux aussi être acheminés jusqu'à lui, probablement un par un. Au-delà de ces aspects techniques et financiers, ce projet a une portée géopolitique évidente. Il montre bien la volonté des États-Unis de garder une longueur d'avance et de renforcer leur position dans le domaine de l'espace militaire, un domaine de plus en plus perçu comme un potentiel champ de bataille. L'US Space Force n'a d'ailleurs pas attendu ce projet pour travailler sur sa réactivité. La mission "Victox Nox" fin 2023 en est un bon exemple : Firefly Aerospace avait alors réussi à lancer une charge utile en seulement 27 heures après avoir reçu l'ordre. Le Porte-avions Orbital s'inscrit donc pleinement dans cette stratégie de réactivité et de capacité à projeter des moyens dans l'espace rapidement.