Face à une pression politique et économique croissante, le géant taïwanais TSMC semble prêt à revoir sa stratégie en profondeur en avançant d'un an la production de ses puces les plus sophistiquées sur le sol américain.

L'usine d'Arizona pourrait ainsi graver des puces en 2 nm et en 1,6 nm (procédé A16) dès 2027, rompant avec sa volonté initiale de maintenir ces techniques très avancées à Taiwan.

Depuis des mois, l'administration américaine ne cache plus sa volonté de réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis de Taïwan, où sont fabriqués 95 % des semi-conducteurs dont dépendent les États-Unis, alors que le risque d'une invasion de Taiwan par la Chine ne cesse de croître.

Le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, a clairement affiché les intentions américaines : atteindre une répartition "50-50" de la production de puces entre les États-Unis et Taïwan.

Un objectif ambitieux qui, dans les faits, s'apparente à un ultimatum diplomatique et industriel. Dans ce contexte tendu, TSMC ajuste sa feuille de route. La firme n'a pas d'autre choix que de lâcher du lest pour apaiser les tensions géopolitiques et répondre à la demande explosive de ses clients américains pour des capacités de production locales...et en espérant un soutien militaire en cas d'invasion, qui n'est cependant pas garanti pour autant.

Un calendrier bousculé pour l'usine d'Arizona

L'annonce la plus significative concerne la troisième usine de TSMC en Arizona, dont la construction est déjà en cours. Initialement prévue pour 2028, la production de masse des nœuds de gravure les plus avancés, à savoir le 2 nm et le très attendu A16 (1,6 nm), pourrait finalement démarrer un an plus tôt que prévu.

TSMC roadmap gravure puces

Ce changement de cap place le site américain à seulement un an d'écart des usines taïwanaises pour les technologies de pointe, un progrès considérable réalisé en quelques mois seulement.

Pendant ce temps, la première usine tourne déjà à plein régime sur le 4 nm avec des rendements comparables à ceux de Taïwan, et la seconde, dédiée au 3 nm, est achevée.

NVIDIA, premier bénéficiaire de la nouvelle donne ?

Ce basculement stratégique s'accompagne d'une autre rupture majeure. Depuis plus d'une décennie, Apple était le client de lancement pour chaque nouvelle technologie de gravure de TSMC. Mais cette tradition prend fin.

C'est désormais Nvidia qui sera le premier à adopter le procédé A16 pour ses futures architectures d'IA, comme Feynman (après l'actuelle Blackwell et la future Rubin) prévue pour 2028.

Nvidia roadmap architecture graphique Rubin Feynman

Le procédé A16 introduit une innovation clé : la livraison d'énergie par l'arrière (backside power delivery). Cette technique libère de l'espace sur la face avant de la puce pour les interconnexions, améliorant les performances de 8 à 10 % et réduisant la consommation de 15 à 20 % par rapport au N2.

Pour des puces aussi complexes et gourmandes en énergie que les GPU pour l'IA, cette architecture devient une nécessité.

Un pivot stratégique lourd de conséquences

En choisissant NVIDIA et son besoin pressant pour le calcul haute performance, TSMC fait un pari calculé. L'entreprise renforce son leadership technologique face à la concurrence, notamment celle d'Intel et de son procédé 18A qui intégrera également une solution d'alimentation par l'arrière.

Déplacer ses technologies les plus avancées hors de Taïwan est une décision historique, et pas sans danger, pour le fondeur. Si le succès est au rendez-vous, cela prouvera que l'alimentation par l'arrière est non seulement viable, mais essentielle pour la prochaine génération de puces d'IA.

Cette manœuvre pourrait contraindre ses rivaux, comme AMD, à accélérer leurs propres feuilles de route pour ne pas se laisser distancer. Le coût de cette avance sera cependant élevé, avec un prix par wafer pour le A16 qui pourrait dépasser les 30 000 dollars, un surcoût que seuls des acteurs comme NVIDIA peuvent aujourd'hui absorber grâce au prix de vente exorbitant de leurs accélérateurs d'IA.