Avec un investissement de plus d'un milliard d'euros, La Corée du Sud ambitionnait de devenir pionnier de l'éducation personnalisée grâce à des manuels scolaires dopés à l'IA. Le projet, lancé en mars 2025 pour les mathématiques, l'anglais et l'informatique, promettait d'alléger la charge des enseignants et de s'adapter au niveau de chaque élève. Pourtant, après seulement quatre mois, le rêve technologique s'est heurté à une dure réalité, forçant le gouvernement à une retraite précipitée.

Pourquoi le déploiement a-t-il été si problématique ?

Dès leur introduction, les manuels IA ont généré une vague de mécontentement. Les enseignants et les parents ont rapidement signalé des erreurs factuelles, des consignes mal formulées et des exercices inadaptés au niveau réel des élèves. Les bugs techniques étaient si fréquents que de nombreuses classes prenaient du retard, les professeurs passant plus de temps à résoudre des problèmes informatiques qu'à enseigner, un comble pour une intelligence artificielle censée être adaptative.

Cette situation a créé une charge de travail supplémentaire pour tous. Les élèves se sentaient perdus face à des interfaces opaques et peinaient à rester concentrés. Des inquiétudes légitimes ont également émergé concernant la confidentialité des données et l'augmentation significative du temps d'écran pour les enfants. Le taux d'adoption dans les écoles est ainsi passé de 37 % au premier trimestre à seulement 19 % au second.

Comment le contexte politique a-t-il précipité la chute du projet ?

Ce fiasco technologique s'est doublé d'une crise politique majeure. Le projet était une initiative phare de l'ancien président Yoon Suk Yeol, qui souhaitait en faire un symbole de la modernisation du pays. Son empressement a conduit à un calendrier de développement et de validation beaucoup trop court par rapport aux manuels traditionnels : un an seulement pour le développement contre dix-huit mois habituellement.

La procédure de destitution du président en avril 2025 et l'élection de son successeur, Lee Jae Myung, qui s'était ouvertement opposé au projet, ont porté le coup de grâce. En août, le parlement a officiellement déchu les manuels IA de leur statut officiel, les reclassant comme simple « matériel supplémentaire ». Cette décision a laissé les éditeurs, qui avaient massivement investi, dans une situation financière délicate, les forçant à envisager des licenciements.

Quelles leçons retenir de cette expérience à l'échelle mondiale ?

L'échec de la Corée du Sud est riche d'enseignements pour les pays, dont la France, qui explorent l'intégration de l'IA dans l'éducation. Il démontre que la technologie ne peut remplacer la pédagogie. L'adaptativité promise s'est révélée superficielle, et l'approche consistant à confondre vitesse et précipitation est incompatible avec le milieu scolaire. L'hyper-individualisation a aussi montré ses limites, isolant les élèves et fragilisant la dynamique de classe.

Pourtant, tout n'est pas à jeter. Certains enseignants ont reconnu l'utilité des outils ludiques pour capter l'attention ou pour aider les élèves en difficulté et les enfants allophones. Le principal enseignement est donc que l'IA peut être un soutien précieux, à condition d'être introduite progressivement, après des tests rigoureux et en laissant les enseignants maîtres de la pédagogie. La confiance dans les institutions, fortement ébranlée, reste le plus grand défi à reconstruire.