Le groupe Intel, empêtré dans ses difficultés économiques et ses choix stratégiques, n'avait sans doute pas besoin d'une nouvelle polémique actuellement et le choix du nouveau CEO semblait cohérent.
Ancien dirigeant de Cadence Design Systems et depuis bon connaisseur des rouages d'Intel, Lip-Bu Tan a une expérience reconnue en tant que vétéran du secteur high-tech.
Toutefois, le contexte vient de changer avec la sanction ayant frappé Cadence concernant la fourniture de outils logiciels EDA (pour la conception de puces électroniques) à des entreprises chinoises pourtant sur liste noire.
Le passé d'investisseur dans des entreprises chinoises de Lip-Bu Tan devient alors suspect aux yeux de certains parlementaires qui n'hésitent pas à l'interpeller sur cet aspect.
À travers une lettre officielle adressée le 6 août 2025 au conseil d’administration d’Intel, le sénateur américain Tom Cotton (Républicain) interpelle frontalement l’entreprise sur la transparence et les enjeux de sécurité, alors qu’Intel est un fournisseur clé de la défense américaine.
Une enquête qui puise dans le passé de Lip-Bu Tan et jette le trouble sur les pratiques de gouvernance chez l’un des géants mondiaux des semi-conducteurs.
Des investissements en Chine, au cœur des préoccupations sécuritaires
Lip-Bu Tan aurait investi, en son nom ou via ses propres fonds, plus de 200 millions de dollars dans des sociétés technologiques établies en Chine entre 2012 et 2024, dont certaines affichent des liens avec l’armée chinoise ou le Parti communiste.
« Intel doit être un gestionnaire exemplaire des fonds publics américains et respecter les obligations en matière de sécurité », a martelé le sénateur Cotton, rappelant qu’Intel bénéficie d’un soutien fédéral dans le programme de sécurisation de l’approvisionnement en microélectronique, lancé sous l’administration Biden et destiné à la défense nationale.
Le législateur exige donc que la société clarifie si le conseil d’administration connaissait l’ampleur de ces investissements et quelles mesures de surveillance ont été mises en place.
Un passé controversé chez Cadence Design, ancienne société de Lip-Bu Tan
Au-delà des flux financiers, le dossier du CEO d’Intel s’alourdit suite au scandale qui a récemment frappé son ancienne entreprise, Cadence Design Systems. Sous la direction de Tan, cette dernière a reconnu avoir exporté illégalement des outils de conception de puces à une université chinoise, soupçonnée de participer à des recherches de simulation nucléaire pour le compte de l’appareil militaire de Pékin.
L’affaire s’est soldée par une amende de plus de 140 millions de dollars et un accord de culpabilité avec la justice américaine. « Cadence a ainsi violé les contrôles à l’exportation mise en place par Washington », rappelle Reuters.
Cette séquence interroge sur le processus du choix du CEO par le conseil d’administration d’Intel lors du recrutement de Tan, notamment sur la connaissance des enquêtes et des procédures ouvertes contre Cadence au moment de sa nomination.
La réaction d’Intel et la zone grise des lois américaines
Face à la pression politique, Intel s’est empressée de rassurer l’opinion, déclarant que l’entreprise et son dirigeant sont « profondément attachés à la sécurité nationale des États-Unis et à l’intégrité de leur rôle dans l’écosystème de défense américain ».
Selon les bases de données publiques, aucune preuve n’a émergé à ce jour que Lip-Bu Tan détienne des parts dans des entreprises explicitement listées par le Trésor américain comme liées aux industries militaires chinoises — ce qui demeure le seul cadre réglementaire interdisant ce type d’investissement pour un citoyen américain.
Pourtant, la permanence d’investissements actifs dans de multiples sociétés chinoises laisse planer l’incertitude sur l’étendue des désengagements professés par Tan et l’efficacité des mesures de détection internes d’Intel.
Sur ce point, le sénateur Cotton exige plus de transparence, insistant : « Les connexions de M. Tan soulèvent un doute significatif quant à la capacité d’Intel à remplir ses engagements envers la sécurité nationale »
Vers une pression accrue sur la gouvernance des géants technologiques
Ce dossier, qui mêle gouvernance d’entreprise, enjeux géopolitiques et sécurité de la supply chain microélectronique, illustre la pression sans précédent qui pèse aujourd’hui sur les leaders de la tech, et sur Intel en particulier, à la croisée des chemins.
Il pose la question des mécanismes de sélection et de la visibilité de leurs activités antérieures dans le choix des dirigeants, ainsi que de leur loyauté à leur pays. Dans le contexte actuel, tout est bon pour provoquer la suspicion.
L’injonction des régulateurs américains met clairement en lumière l’attente d’une supervision renforcée et d’une réelle transparence, particulièrement pour les groupes recevant des fonds publics dans le cadre de programmes stratégiques.
À l’heure du renforcement de la souveraineté industrielle et de la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement en microélectronique, chaque décision prise aux plus hauts niveaux est désormais scrutée, voire contestée, devant le risque de compromission, même quand on a une longue carrière telle que celle de Lip-Bu Tan.
Cette affaire pourrait bien marquer un tournant dans l’évaluation et la sélection des dirigeants issus d’un contexte international, alors que le débat sur le contrôle et la souveraineté technologique s’intensifie non seulement aux États-Unis, mais dans toutes les économies avancées.