C'est un nom qui a défini la photographie pour des générations entières. Pourtant, Eastman Kodak, après 133 ans d'existence, vient de lancer un avertissement choc à ses investisseurs : l'entreprise pourrait ne plus survivre très longtemps. Dans un document officiel, la société a fait part de "doutes substantiels" sur sa capacité à poursuivre ses activités, une annonce qui a fait chuter son action de plus de 25 %.
La première caméra Kodak, lancée en 1888
Crédits : Eastman Kodak Company
Une dette colossale et une solution radicale
Au cœur de la crise se trouve une dette de près de 500 millions de dollars que Kodak n'a pas les liquidités nécessaires pour rembourser. Face à ce mur financier, la direction a dévoilé un plan pour trouver de l'argent frais, une solution aussi radicale que controversée : mettre fin à son plan de retraite pour les employés américains. Cette manœuvre, qui concerne environ 35 000 participants (retraités et salariés actuels), permettrait à l'entreprise de récupérer entre 530 et 585 millions de dollars, de quoi éponger ses obligations. Malgré la gravité de la situation, le PDG Jim Continenza se veut optimiste, affirmant que « Kodak a continué de progresser par rapport à notre plan à long terme malgré les défis d'un environnement commercial incertain. »
L'inventeur qui a raté sa propre révolution
L'histoire de Kodak est celle d'un succès phénoménal suivi d'une chute vertigineuse. Fondée en 1892 par George Eastman, l'entreprise a démocratisé la photographie avec son premier appareil photo à 25 dollars et son slogan mythique : « Vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste ». À son apogée dans les années 1970, Kodak contrôlait 90 % du marché de la pellicule et 85 % des ventes d'appareils photo aux États-Unis. Mais l'ironie de l'histoire est que Kodak a elle-même inventé la technologie qui allait causer sa perte : le premier appareil photo numérique est né dans ses laboratoires en 1975. Incapable de s'adapter à cette révolution qu'elle avait initiée, l'entreprise a été balayée par la concurrence et a dû déposer le bilan une première fois en 2012.
Steve Sasson, l'inventeur de l'appareil photo numérique
Crédits : Eastman Kodak Company
Un géant qui refuse de disparaître
Contrairement à une idée reçue, Kodak n'est pas qu'une marque apposée sur des produits d'entrée de gamme. L'entreprise est sortie de sa première faillite en se restructurant pour se concentrer sur l'impression commerciale et les produits chimiques. Elle continue aujourd'hui de fabriquer des pellicules de haute qualité pour l'industrie du cinéma. Plus surprenant encore, Kodak s'est diversifiée dans le secteur pharmaceutique et ambitionne de développer cette activité, surfant sur une brève embellie en 2020 lorsque le gouvernement américain l'avait sollicitée pour produire des composants de médicaments.
Les locaux historiques de la Eastman Company Kodak à Rochester, dans l’État de New York
Crédits : Eastman Kodak Company
Quel avenir pour l'icône de la pellicule ?
Malgré un optimisme de façade, l'avertissement officiel envoyé aux marchés financiers est un signal extrêmement préoccupant. La solution envisagée, bien que potentiellement efficace pour régler la dette à court terme, aura un coût social important. Le géant de Rochester, qui a survécu à la fin de la photographie argentique et à une première faillite, joue aujourd'hui une partie décisive pour sa survie. L'avenir dira si cette manœuvre financière suffira à sauver une icône qui a, pendant plus d'un siècle, immortalisé les souvenirs du monde entier.