Le régulateur russe Roskomnadzor a confirmé le blocage de l'application d'appels vidéo d'Apple, invoquant des impératifs de sécurité nationale. Cette décision, qui prive les utilisateurs d'un canal de communication chiffré, cherche à imposer une stratégie plus large de migration forcée vers des solutions domestiques sous surveillance, accentuant la fracture avec l'Internet mondial.

Depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, le Kremlin a accéléré sa doctrine de « l'Internet souverain », cherchant à ériger une frontière numérique infranchissable.

Si le matériel d'Apple n'est plus officiellement importé depuis plusieurs années, ses services restaient une zone grise, offrant aux citoyens une fenêtre sur l'extérieur. Le blocage récent vient sceller cette ouverture, confirmant la volonté des autorités de maîtriser l'intégralité des flux d'information circulant sur le territoire.

Un impératif sécuritaire ou une volonté de contrôle total ?

La décision émane directement du Roskomnadzor, le gendarme russe des télécoms, qui justifie cette mesure par la lutte contre la criminalité. Dans un communiqué, l'agence affirme que FaceTime est utilisé pour organiser des activités illégales et recruter des auteurs d'actes terroristes.

Cette rhétorique, devenue habituelle, cible spécifiquement les technologies de chiffrement de bout en bout qui empêchent les services de sécurité, notamment le FSB, d'intercepter les conversations. Pour les observateurs, l'argument sécuritaire masque à peine l'objectif réel : l'éradication des canaux échappant à la surveillance d'État.

Les utilisateurs moscovites ont rapporté dès jeudi des dysfonctionnements techniques caractéristiques. Lorsqu'une tentative d'appel est effectuée, l'interface affiche « Utilisateur indisponible », bien que la notification apparaisse brièvement chez le destinataire.

Ce symptôme technique suggère l'utilisation de l'inspection profonde des paquets (DPI), une méthode sophistiquée permettant aux fournisseurs d'accès de filtrer et de bloquer des protocoles spécifiques au cœur du réseau, rendant les communications privées inopérantes sans couper totalement l'accès à Internet.

L'alternative patriotique : une migration sous surveillance

Ce blocage coïncide avec le lancement d'une application rivale soutenue par l'État, baptisée MAX. Présentée comme une alternative patriotique et sécurisée, cette plateforme soulève de lourdes inquiétudes quant à la confidentialité des données.

Les critiques soulignent que l'architecture même de ce logiciel domestique intègre des portes dérobées (« backdoors ») permettant aux agences gouvernementales un accès en temps réel aux échanges.

Pour le citoyen russe, le choix se réduit drastiquement : utiliser des outils occidentaux bloqués via des contournements complexes ou céder à la technologie locale.

Pour la firme de Cupertino, cette mesure représente la rupture d'un des derniers liens avec le marché russe. Apple, qui n'a pas commenté immédiatement la situation, voit son écosystème se réduire comme peau de chagrin dans la région.

La stratégie du Kremlin vise à rendre l'usage des plateformes étrangères si erratique et pénible que la population finisse par migrer, par lassitude, vers les solutions préconisées par l'État, validant ainsi de fait le modèle de l'autarcie numérique.

Une offensive généralisée contre les plateformes occidentales

L'interdiction de l'application d'Apple n'est qu'une pièce d'un puzzle bien plus vaste assemblé tout au long de l'année 2025. Quelques heures seulement avant cette annonce, c'est la plateforme de jeu Roblox qui faisait les frais de la censure, accusée de propager des contenus contraires aux « valeurs traditionnelles ».

De même, les débits de YouTube ont été volontairement bridés à des niveaux rendant le service inutilisable, et les appels via WhatsApp subissent des restrictions croissantes, le régulateur menaçant régulièrement de bloquer totalement la messagerie de Meta.

Cette séquence démontre que la fenêtre sur l'Internet mondial est en train de se refermer hermétiquement. Les outils de contournement comme les VPN font eux-mêmes l'objet d'une traque incessante, réduisant chaque jour les options pour contourner le pare-feu national.

La question qui demeure en suspens n'est plus de savoir si la Russie va se couper totalement du réseau global, mais combien de temps les utilisateurs pourront encore maintenir une forme de liberté numérique avant que le « RuNet » ne devienne leur unique horizon.