En Corée du Sud, la chaîne de cafés Starbucks a récemment affiché de nouvelles règles dans ses quelque 2 000 magasins. L'objectif est clair : freiner les ardeurs des cagongjok, un mot-valise coréen désignant ces clients, souvent des étudiants ou des travailleurs à distance, qui s'installent pour de longues heures avec un équipement digne d'un véritable bureau. L'enseigne, qui reste un lieu prisé pour le travail nomade, a dû réagir face à des installations jugées excessives.
Le phénomène « cagongjok » sous le feu des projecteurs
Le terme cagongjok est une contraction des mots coréens pour « café », « étude » et « tribu ». Il décrit une pratique de plus en plus visible : des clients s'appropriant l'espace avec un attirail complet. Des photos circulant sur les réseaux sociaux montrent des installations surprenantes, allant de moniteurs externes à des cloisons pliables pour créer un box personnel. La nouvelle politique de Starbucks vise spécifiquement ces abus en interdisant :
- Les ordinateurs de bureau,
- Les imprimantes,
- Les multiprises,
- Les moniteurs externes.
La mesure ne signifie pas l'expulsion des travailleurs et étudiants. Les ordinateurs portables et autres petits appareils personnels restent les bienvenus. L'enseigne insiste sur le fait qu'aucune limitation de durée n'est imposée, mais appelle à la civilité, comme le précise une affichette : « Sur les tables pouvant accueillir plusieurs personnes, merci de faire preuve de considération afin que d’autres clients puissent également les utiliser ».
Une question de rentabilité et de sécurité
La décision de Starbucks repose sur des motifs économiques et pratiques. L'institut coréen de recherche sur l'industrie de la restauration a calculé qu'en 2024, un café vendu autour de 2,50 € ne couvrait la rentabilité de l'occupation d'une place que pendant 1 heure et 31 minutes, contre 1 heure et 42 minutes en 2019. L'immobilisation d'une table pendant une journée entière par une seule personne pour une unique consommation devient un problème. La sécurité est également un argument, car l'accumulation de matériel et de câbles présente des risques, sans parler des vols potentiels lorsque les clients laissent leur équipement sans surveillance.
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Le contexte économique et culturel sud-coréen
Ce phénomène n'est pas anodin en Corée du Sud. La culture des salons de thé, où l'on se retrouvait pour discuter d'art ou de politique, est profondément ancrée. Mais le marché du travail a évolué, notamment depuis la crise financière asiatique de 1997, avec une hausse des contrats précaires et du travail indépendant. Plus récemment, le boom du télétravail post-pandémie s'est heurté à un marché de l'immobilier de bureau saturé, particulièrement à Séoul, où le taux de vacance était de seulement 2,6 % début 2025. Face à des loyers exorbitants, de nombreuses entreprises ont encouragé le travail à distance, poussant de fait les employés à trouver des solutions alternatives comme les cafés, perçus comme une option économique. Pour certains, c'est « un moyen vraiment pas cher de travailler », comme le note un expert.
Une politique d'apaisement qui divise peu
Loin d'être une déclaration de guerre, la démarche de Starbucks se veut une simple mise au point. La chaîne réaffirme son engagement à être « un troisième lieu accueillant pour le café et les rencontres ». Cette mesure semble d'ailleurs bien accueillie par une partie de la clientèle locale, agacée par ceux que certains qualifient de « voleurs d'électricité ». Sur les réseaux sociaux coréens, les réactions sont majoritairement positives. « Bien joué », commente un utilisateur, tandis qu'un autre voit la mesure comme une réponse « à ceux qui ont franchi la ligne avec leurs mauvaises manières ». La Corée du Sud, troisième marché mondial pour Starbucks, sert ici de territoire d'expérimentation pour une politique qui pourrait, à terme, inspirer d'autres pays confrontés aux mêmes problématiques d'occupation de l'espace.