Le dernier bilan sur le « budget énergétique » terrestre dévoile une tendance inquiétante : la Terre conserve bien plus de chaleur qu’attendu par la science, bouleversant toutes les estimations.

La chaleur absorbée s’est même accrue deux fois plus vite qu’au début du millénaire selon une étude récente parue dans AGU (Advancing Earth and Space Sciences), un constat qui remet en cause l’adaptation actuelle et alimente l’urgence climatique.

Les scientifiques avaient déjà remarqué des écarts dans les mesures par rapport aux attentes, amenant les modèles prévisionnels vers leurs valeurs hautes, et les amenant à penser que certains effets ont été sous-évalués ou bien que des synergies plus profondes et rapides entre phénomènes naturels accélérent le changement climatique.

La Terre absorbe-t-elle plus de chaleur que la science le pensait ?

Ce constat a été révélé par plusieurs équipes de chercheurs : la chaleur captée par la Terre a doublé en à peine vingt ans, un rythme qui dépasse de très loin les prédictions des modèles en usage.

« Depuis le début des années 2000, le déséquilibre énergétique mondial est passé d’environ 0,6 watt à près de 1,3 watt par mètre carré » selon de nouvelles recherches, soit une évolution spectaculaire. Cette énergie s’ajoute chaque seconde dans l’ensemble des mers, sols et atmosphère.

Les chercheurs utilisent des instruments embarqués sur satellites pour mesurer la différence entre l’énergie solaire reçue et celle renvoyée dans l’espace, et croisent ces données avec des milliers de capteurs robotisés sous-marins pour suivre la montée de la température des océans. Résultat : l’accumulation de chaleur est bien supérieure à ce qui était attendu jusqu’ici.

Pourquoi les modèles climatiques n’avaient-ils pas anticipé ce rythme ?

Les modèles climatiques s’efforcent de simuler le fonctionnement complet de l’atmosphère, des océans, des sols et des glaces. Mais leur capacité à représenter chaque processus – des nuages aux courants marins – a parfois des limites.

Le « choc » des scientifiques ? La montée rapide de ce que l’on appelle le « déséquilibre énergétique » planétaire. D'un côté, la couverture nuageuse tend à se réduire, ce qui ne permet plus de réfléchir aussi efficacement les radiations solaires, et fait donc entrer plus de chaleur qu'auparavant dans l'atmosphère.

De l'autre, les océans engrangent toujours plus d'énergie, ce qui fait monter leur température et affaiblit les effets rafraîchissants des courants aériens. La fonte des glaces aux pôles contribue par ailleurs à faire monter leur niveau (et là aussi le phénomène s'accélère plus vite que prévu), menaçant de submersion îles et zones côtières.

Cet ensemble d'effets a été insuffisamment pris en compte dans les modèles climatiques, conduisant à des décalages significatifs entre prévisions et données réelles.

Il ressort que la plupart des modèles prévoyaient moins de la moitié du « changement observé ». Cet écart oblige à revoir la précision des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre et de projections pour les décennies à venir.

Quelles conséquences pour l’environnement et nos sociétés ?

La première répercussion concerne une hausse directe des températures mondiales : la moyenne du globe a déjà gagné entre 1,3 et 1,5°C depuis l’ère préindustrielle. Plus la Terre stocke de chaleur, plus la probabilité d’événements extrêmes – canicules, sécheresses, précipitations violentes – explose.

L’Arctique s’échauffe près de 3,5 fois plus vite que le reste du globe, accélérant la fonte des glaces marines et du pergélisol, tandis que l’acidité et le niveau des océans grimpent, menaçant la biodiversité et l’élévation du littoral.

Ce déséquilibre énergétique intensifie l’ampleur des catastrophes, pénalise les productions agricoles, pèse sur la santé publique (vagues de chaleur), déstabilise l’approvisionnement en eau et gonfle la facture climatique des territoires vulnérables.

Les défis pour la science et l’adaptation : faut-il redouter l’avenir ?

La rapidité du réchauffement interroge sur l’ampleur de l’urgence. Les chercheurs s’accordent : l’adaptation du monde doit s’accélérer, car les vagues de chaleur, sécheresses, inondations et pertes de biodiversité trouvent leur origine dans ce surplus d’énergie accumulé.

« Si l’on capte mal l’évolution du bilan énergétique, on se prive d’un levier fondamental pour anticiper les vulnérabilités et adapter nos sociétés », préviennent-ils.

Investir dans la surveillance de la chaleur stockée dans les océans et peaufiner la modélisation des nuages s’avèrent désormais prioritaires, alors que des pays comme les Etats-Unis tendent à réduire les budgets pour ces missions d'observation terrestre.

L’ajustement des politiques et la mobilisation autour des scénarios les plus pessimistes s’imposent pour éviter que ce déséquilibre énergétique ne deviennent irréversible. L’équation climatique n’a jamais été aussi urgente à résoudre mais les résistances et les inerties restent nombreuses.

Or, les scientifiques sont pessimistes sur la capacité de l'effort mondial à limiter la hausse des températures moyennes du globe à +1,5 degré et voient le seuil des +2 degrés par rapport aux valeurs de référence nous échapper également.

A ces niveaux, les événements climatiques de grande ampleur seront plus intenses et plus fréquents, occasionnant dégâts matériels et pertes humaines importantes.  La science et la technologie permettront-elles de refaire pencher la balance en notre faveur ?