L'Union européenne a décidé de prendre son destin technologique en main. Constatant son décalage par rapport aux géants américains et chinois dans le secteur de l'intelligence artificielle, la Commission européenne a officialisé une initiative de grande ampleur : la création de plusieurs « gigafactories » dédiées à l'IA. Un appel d'offres sera lancé début 2026 pour concrétiser ce projet, soutenu par un fonds de 20 milliards d'euros et un partenariat stratégique avec la Banque européenne d'investissement. L'enjeu est de taille : bâtir une infrastructure capable de développer et d'entraîner les modèles de langage les plus complexes.
Quel est le cadre de cette initiative européenne ?
L'objectif est de construire jusqu'à cinq centres de calcul de très haute performance, chacun intégrant plus de 100 000 puces d'IA avancées, des centres de données écoénergétiques et une automatisation poussée. Ce projet, baptisé InvestAI, s'appuie sur un partenariat public-privé. La Commission européenne a déjà reçu 76 manifestations d'intérêt provenant de 16 États membres, proposant 60 sites potentiels. C'est une mobilisation considérable qui témoigne de l'urgence perçue sur le continent.
La gigafactory de Tesla à Berlin, connue sous le nom de « Tesla Giga Berlin » ou « Gigafactory 4 ».
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Le mémorandum d'entente signé avec la Banque européenne d'investissement (BEI) vise à transformer ces ambitions en projets rentables. La BEI fournira un soutien consultatif sur mesure aux consortiums intéressés, assurant ainsi la viabilité financière et structurelle des futures installations. L'appel d'offres formel, bien que légèrement retardé par rapport au calendrier initial, devrait s'achever dans le courant de l’été 2026.
Qui pourra participer à ce projet stratégique ?
La commissaire à la Souveraineté technologique, Henna Virkkunen, a précisé les règles du jeu. Bien que la participation d'entités de pays tiers soit possible, la majorité du capital des consortiums devra être européenne. Cette condition vise à garantir que le contrôle de ces infrastructures stratégiques reste bien entre les mains de l'Union européenne. Des géants des télécoms comme Deutsche Telekom, Scaleway, filiale d'Iliad, ou encore Altice Portugal ont déjà manifesté leur intérêt.
Par ailleurs, une ligne rouge claire a été tracée : les fournisseurs considérés comme à haut risque seront exclus des projets financés par l'UE. Sans les nommer, cette mesure cible directement des entreprises chinoises comme Huawei et ZTE, dans une logique de sécurisation des infrastructures critiques du continent. Même OpenAI s'est positionné, mais la priorité sera bien accordée aux acteurs européens.
Quels sont les principaux défis à surmonter ?
Le principal obstacle réside dans la dépendance technologique de l'Europe. Henna Virkkunen l'a reconnu sans détour : « Nous savons que, malheureusement, l'Union européenne n'a pas encore la capacité de concevoir et de fabriquer ce type de puces pour l'IA ». En conséquence, l'UE devra dans un premier temps se fournir à l'étranger, principalement auprès d'entreprises américaines comme Nvidia, le numéro un mondial incontesté du secteur. C'est un paradoxe pour un projet visant la souveraineté.
L'autre défi est financier. Si le soutien public de 20 milliards d'euros est conséquent, il est attendu que 70 % des investissements proviennent du secteur privé. Les manifestations d'intérêt reçues représentent un montant total indicatif de plus de 230 milliards d'euros, montrant l'ampleur des capitaux nécessaires pour rivaliser avec les projets américains. La mobilisation de ces fonds sera déterminante pour le succès de l'initiative.