L'annonce a l'air d'une excellente nouvelle pour l'industrie automobile européenne. Stellantis s'associe au leader mondial CATL pour bâtir une gigantesque usine de batteries LFP (Lithium-Fer-Phosphate) à Saragosse, en Espagne, un projet à plus de 4 milliards d'euros.

Pourtant, un détail révélé par le Financial Times change radicalement la perspective : la Chine compte envoyer 2 000 de ses propres travailleurs pour construire et équiper le site. Une décision qui soulève de sérieuses questions sur les véritables intentions de Pékin.

Pourquoi la Chine envoie-t-elle sa propre main-d'œuvre ?

Officiellement, CATL justifie cette décision par la nécessité de faire appel à des techniciens expérimentés, familiers des processus complexes de fabrication. Une fois l'usine pleinement opérationnelle, les employés chinois ne représenteraient plus que 10 % des effectifs totaux. Mais derrière cette explication technique se cache une stratégie bien plus profonde.

Le véritable objectif ? Ancrer la dépendance du monde entier à l'égard de la technologie chinoise de pointe. La raison officieuse, bien plus stratégique, est la protection de sa propriété intellectuelle. En limitant le transfert de compétences vers les travailleurs européens, les entreprises chinoises s'assurent de garder une longueur d'avance. Comme le résume un analyste, « Xi Jinping cherche à transformer la Chine en une forteresse autosuffisante, tout en rendant le reste du monde encore plus dépendant de l’industrie chinoise ».

Quel est l'impact sur l'indépendance européenne ?

Cette situation met en lumière les fragilités de l'Europe dans la course aux voitures électriques. Alors que l'Union Européenne a lancé dès 2017 une "Alliance des batteries" pour créer une filière continentale indépendante, les résultats peinent à convaincre. La faillite du projet suédois Northvolt ou les difficultés rencontrées par ACC (la coentreprise de Stellantis, Mercedes et TotalEnergies) en sont des exemples frappants.

Le fait que Stellantis, pourtant actionnaire majeur d'ACC, se tourne vers CATL pour une technologie aussi cruciale que les batteries LFP est révélateur. Ce choix sonne comme un aveu de faiblesse et interroge sur la viabilité de la souveraineté industrielle européenne dans ce secteur clé. L'Europe semble contrainte de s'allier avec son principal concurrent pour combler son retard technologique.

S'agit-il d'une tendance de fond ?

Le cas de l'usine de Saragosse n'est pas isolé. CATL possède déjà deux autres sites en Europe, en Allemagne et en Hongrie. D'autres géants chinois, comme BYD ou AESC, prévoient également d'implanter leurs propres unités de production sur le continent. Cette expansion massive inquiète les autorités au plus haut niveau. Cette situation illustre une inquiétude grandissante : l'Europe, en voulant accélérer sa transition, pourrait s'enfermer dans une nouvelle dépendance technologique.

Alors que certains élus locaux, comme en Aragon, saluent ces investissements comme une opportunité, d'autres y voient une menace stratégique. Le Pentagone a d'ailleurs placé CATL sur une liste noire en raison de ses liens supposés avec l'armée chinoise. Le débat est lancé : pour construire son avenir électrique, l'Europe peut-elle vraiment se permettre de le faire avec les outils, et les hommes, de son principal rival économique ?