L'expérience, menée par la chaîne YouTube Chess-Simpsons, a opposé deux mondes que tout sépare. D'un côté, l'un des modèles de langage les plus avancés au monde, fruit de milliards de dollars d'investissement et capable de prouesses conversationnelles et créatives. De l'autre, un programme rudimentaire, "Video Chess", tournant sur une machine dotée de seulement 128 octets de RAM. Le résultat, sans appel, a vu la technologie rétro l'emporter. Cette confrontation, au-delà de son aspect anecdotique, est une formidable leçon sur ce qu'est réellement une intelligence artificielle et sur la différence fondamentale entre une IA généraliste et un algorithme spécialisé.
Un combat déséquilibré aux résultats inattendus
Sur le papier, la rencontre semblait jouée d'avance. À droite, ChatGPT, le titan développé par OpenAI, une IA dite "généraliste" entraînée sur une quantité phénoménale de données textuelles issues d'internet. Sa capacité à comprendre, générer et manipuler le langage a redéfini les standards technologiques. Et à gauche, "Video Chess", un programme datant de 1979 et fonctionnant sur l'Atari 2600. Cette console de jeu mythique est animée par un processeur cadencé à 1,19 MHz et dispose d'une mémoire vive de 128 octets. Pour mettre ces chiffres en perspective, c'est des millions de fois moins puissant qu'un smartphone moderne.
L'opérateur humain de l'expérience avait même réglé le programme Atari sur son niveau de difficulté le plus bas, le niveau 1, qui accorde à l'ordinateur environ 15 secondes de réflexion par coup. Personne n'aurait donc parié sur l'ancêtre du jeu vidéo.
Boîte du jeu Video Chess sur Atari 2600
Le déroulement d'une partie surréaliste
Dès les premiers échanges, la partie a pris une tournure étrange. Jouant avec les pièces blanches, ChatGPT a rapidement montré des signes de confusion. Au quatrième coup, l'IA moderne a tenté un mouvement totalement illégal, essayant de déplacer un pion en diagonale sans qu'il y ait de prise à faire. L'opérateur humain a dû intervenir pour interpréter l'intention de l'IA et la traduire par le coup légal le plus plausible.
Loin de se ressaisir, ChatGPT a poursuivi avec une stratégie incohérente, allant jusqu'à sacrifier sa reine sans aucune compensation ni logique tactique. Pendant ce temps, l'algorithme de l'Atari, bien que basique, jouait des coups simples mais logiques. Il suivait simplement sa programmation, profitant des erreurs grossières de son adversaire.
La partie s'est achevée sur une victoire écrasante de la machine de 1977, qui a administré le coup de grâce à une IA désemparée. La séquence des coups joués par ChatGPT ne ressemblait en rien à une véritable partie d'échecs, mais plutôt à une imitation maladroite basée sur une compréhension superficielle des règles.
L'Atari 2600
L'explication d'une défaite finalement logique
Comment expliquer une telle déroute ? La réponse se trouve dans la nature même des deux programmes. ChatGPT, en tant que Grand Modèle de Langage (LLM), n'est pas un joueur d'échecs. C'est un système expert en probabilités textuelles. Il a appris en lisant des millions de livres, d'articles et de discussions sur les échecs. Il peut donc décrire les règles du jeu, expliquer des concepts stratégiques complexes comme le "clouage" ou la "fourchette" ou encore raconter des histoires de parties célèbres.
Cependant, il ne "comprend" pas la logique spatiale et stratégique de l'échiquier. Quand il choisit un coup, il ne calcule pas les variantes comme le ferait un moteur d'échecs. Il prédit quelle est la suite de caractères (dans ce cas, la notation du coup) la plus probable statistiquement, d'après les textes qu'il a ingérés. Son comportement s'apparente à celui d'un étudiant qui aurait mémorisé des milliers de livres de médecine sans jamais avoir vu un patient. Il peut réciter des symptômes et des traitements, mais il est incapable de poser un diagnostic cohérent face à une situation réelle.
L'algorithme de l'Atari, à l'inverse, est un pur spécialiste. Sa seule et unique fonction est de jouer aux échecs. Il est certes incapable de dire bonjour ou de parler de la pluie et du beau temps, mais il applique un ensemble de règles et une fonction d'évaluation simples pour choisir le meilleur coup possible dans sa situation. Il fait une seule chose, mais il la fait correctement.
La véritable leçon de cet échec et mat
Cette expérience n'invalide pas l'utilité ou la puissance de ChatGPT. Elle sert de rappel salutaire sur la nature de l'intelligence artificielle. Il n'existe pas d'IA monolithique et rigide, mais une multitude d'outils avec des forces et des faiblesses distinctes. Un modèle généraliste comme ChatGPT est très performant pour des tâches liées au langage et à la créativité, mais il trouve ses limites face à des problèmes logiques et structurés qui demandent un calcul rigoureux. Des IA spécialisées comme Stockfish ou AlphaZero, conçues exclusivement pour le jeu d'échecs, battraient l'Atari et n'importe quel humain avec une facilité déconcertante, car c'est leur unique raison d'être.
Cette partie entre une IA de 2024 et un programme de 1979 est donc moins une compétition qu'une démonstration. Elle illustre que dans le domaine de l'informatique, la spécialisation d'un outil est souvent la clé de son efficacité. L'ancêtre a gagné non pas parce qu'il était plus "intelligent", mais parce qu'il était le seul des deux à véritablement savoir jouer au jeu vidéo en question.