Il y a peu, la trajectoire semblait claire pour les géants de l'automobile américains. Poussés par une administration Biden favorable à l'électrification et des subventions généreuses, des constructeurs comme Ford avaient massivement investi dans une stratégie tout-électrique ambitieuse.

Le pick-up F-150 Lightning, version électrifiée du véhicule le plus vendu aux États-Unis, en était le symbole éclatant. Mais ce qui ressemblait à une autoroute vers l'avenir s'est avéré être un chemin bien plus sinueux, forçant aujourd'hui le constructeur à un recalibrage stratégique majeur.

Un virage stratégique à 19,5 milliards de dollars

L'annonce a fait l'effet d'une secousse : Ford a officialisé une charge exceptionnelle de 19,5 milliards de dollars qui impactera ses résultats. Cette somme colossale n'est pas le reflet d'une simple perte mais bien la conséquence directe d'une réévaluation profonde de ses plans d'investissement dans l'électrique.

Le PDG, Jim Farley, a justifié cette décision en expliquant que l'entreprise « suit les clients là où le marché se trouve, pas là où les gens pensaient qu'il serait ».

Ford F150 Lightning

Concrètement, ce changement de cap se traduit par l'arrêt de la production de la version purement électrique du F-150 Lightning, qui sera repensée comme un véhicule hybride à autonomie étendue, doté d'un générateur à essence.

De plus, le projet d'un nouveau grand fourgon électrique est purement et simplement annulé. Les ressources seront réallouées vers les segments les plus rentables : les pickups et SUV thermiques, ainsi que les motorisations hybrides.

Entre demande en berne et contexte réglementaire défavorable

Ce revirement s'explique par une combinaison de facteurs. D'une part, la demande s'est révélée décevante pour les grands véhicules électriques, souvent vendus à des prix supérieurs à 70 000 dollars.

L'élan initial, stimulé par l'anticipation de la fin du crédit d'impôt fédéral de 7 500 dollars en septembre, s'est essoufflé, laissant les constructeurs face à des ventes en berne. Le concurrent General Motors avait d'ailleurs annoncé un ajustement similaire quelques mois auparavant.

D'autre part, le contexte réglementaire a radicalement changé. L'administration Trump a non seulement mis fin aux subventions, mais a aussi assoupli les normes d'émissions fixées sous l'ère Biden, qui devaient fortement inciter à l'électrification.

Jim Farley lui-même a qualifié cet assouplissement de « victoire du bon sens », estimant les nouvelles règles plus « alignées avec la demande des clients », bien que les groupes environnementaux dénoncent un retour en arrière.

L'avenir de Ford : hybrides, petits VE et stockage d'énergie

Ford n'abandonne pas pour autant l'électrification, mais la réoriente. L'accent sera mis sur le développement d'une nouvelle plateforme universelle destinée à une famille de véhicules électriques plus petits, plus efficients et surtout plus abordables.

Ford Universal EV Platform

En parallèle, l'offre de modèles hybrides sera étendue à la quasi-totalité de la gamme, avec un objectif clair : que 50 % des ventes mondiales soient composées d'hybrides et de VE d'ici 2030, contre 17 % aujourd'hui.

Plus surprenant, le constructeur transforme un pari coûteux en une nouvelle opportunité commerciale. Une partie de la capacité de production de ses usines de batteries du Kentucky sera réaffectée à une nouvelle activité de stockage d'énergie stationnaire.

Ces systèmes de batteries sont destinés à des marchés en pleine expansion comme les data centers et les réseaux électriques. C'est une manière pragmatique de valoriser des milliards d'investissements tout en visant la rentabilité de sa division Model E d'ici 2029, une échéance qui montrera si ce pivot stratégique a porté ses fruits.