Alors qu'elle était vue comme le leader mondial en matière d'encadrement de l'intelligence artificielle, l'Union européenne semble prise de doutes. À peine un an après l'adoption de son AI Act, un règlement historique, Bruxelles se prépare à mettre les freins. Selon plusieurs sources, un report allant jusqu'à un an est à l'étude pour l'application des règles concernant les IA "à haut risque", dont l'entrée en vigueur est normalement prévue pour août 2026.
Pourquoi un tel revirement ?
Ce potentiel rétropédalage s'explique par une combinaison de facteurs. Le principal obstacle est d'ordre technique : les "normes techniques" qui doivent traduire en pratique les grandes obligations de l'AI Act ne sont toujours pas finalisées. Sans ce "mode d'emploi" détaillé, les entreprises, notamment celles développant des IA pour les ressources humaines, l'éducation ou la justice, affirment qu'il leur est impossible de se préparer à temps pour respecter la loi. À cette difficulté s'ajoute une intense pression de l'industrie et de certains pays comme la Pologne, la Suède et la République tchèque, qui craignent que cette réglementation ne freine l'innovation européenne et n'incite les start-ups à déménager vers des territoires moins régulés.
Des voix influentes sèment le doute
Le camp des partisans d'une pause a récemment reçu des soutiens de poids. Fait surprenant, l'ancien Premier ministre italien Mario Draghi a qualifié la loi de « source d'incertitude » et a préconisé de suspendre les règles sur les IA à haut risque « jusqu'à ce que nous comprenions mieux leurs inconvénients ». Peu après, la Commission européenne a elle-même ouvert la porte à des modifications en incluant l'AI Act dans une consultation sur la "simplification" des lois numériques, une initiative jugée "bizarre" par certains pour une loi qui n'est même pas encore totalement appliquée.
Les défenseurs des droits montent au créneau
Face à cette éventualité, la société civile tire la sonnette d'alarme. Une trentaine d'associations de défense des droits numériques, comme EDRi et AccessNow, ont adressé une lettre à la Commission pour s'opposer fermement à tout retard. Elles dénoncent un « cercle vicieux de retards » et estiment que cette pause mettrait en péril la protection des citoyens. Selon ces organisations, « tout nouveau retard risque de compromettre à la fois la protection des droits des personnes en vertu de la loi sur l’IA et la crédibilité de l’UE ».
L'Europe entre ambition et crainte
Ce débat illustre le dilemme de l'Europe : rester un régulateur ambitieux qui fixe les normes mondiales, ou assouplir ses règles par crainte d'être distancée par les États-Unis et la Chine dans la course aux profits de l'IA. Si la Commission européenne se défend de vouloir un "moratoire général", les sources à Bruxelles indiquent que même les plus ardents défenseurs de la loi envisagent désormais en privé "un certain retard". La décision finale, attendue dans les prochains mois, sera un indicateur fort de la direction que l'Europe choisira de prendre.